La prostitution volontaire des adolescentes : voilà un phénomène récent pour le moins fascinant et sensible, si sensible qu'aucun cinéma ne s'en était jusque là emparé. C'est grand dommage, car il y a fort à parier que les différences de traitement seraient flagrantes, notamment d'un pays à l'autre : sans vouloir caricaturer à outrance, on peut penser qu'Hollywood en aurait tiré un drame social avec rédemption finale à la clef, histoire de grappiller quelques oscars ; les Scandinaves un bon vieux thriller et les Italiens une comédie noire, tandis que le cinéma asiatique se serait peut-être focalisé sur l'aspect érotique et dérangeant de la chose. Jeune & Jolie de François Ozon, finalement, fait un peu de tout cela à la fois. Sauf que malheureusement, et en cela il m'apparaît très français, il finit par ne pas raconter grand-chose.
Jeune & Jolie, son héroïne Isabelle l'est incontestablement. Mais comme pour nombre d'ados, l'un et l'autre attributs constituent pour elle à la fois un fardeau, dont il convient de s'émanciper, et une arme, qu'elle peut utiliser. L'été de ses dix-sept ans, elle abandonne sa virginité à un BG allemand sur une plage du sud de la France où sa famille parisienne et elle viennent se dorer la pilule. Appliqué sans grand enthousiasme et sous le regard désapprobateur de son double (cas de schizophrénie/bipolarité d'autant plus étrange qu'il ne se réitérera jamais dans le film), l'exercice semble laisser la jeune fille de marbre, elle de nature déjà si froide et taciturne.
Pourtant, il faut croire qu'il n'y a pas que son hymen qui se soit brisé dans l'opération, car à son retour dans la capitale quelques mois plus tard, Isabelle est devenue une professionnelle du sexe, vendant ses services pour 300 euros, essentiellement à des clients âgés, fortunés et mariés, qui ne se font pas d'illusion sur l'âge réel de celle qui prétend avoir la vingtaine. Bien sûr, pas un mot de tout cela à quiconque, et surtout pas à sa famille.
Comme je le disais en ouverture, la prémisse n'a rien du fait divers et encore moins du fantasme : la prostitution délibérée des adolescentes est quelque chose de tristement actuel, même si Jeune et Jolie se garde bien de tout didactisme à ce sujet. Les motifs réels (difficultés à financer les études, faible estime de soi, recherche de sensations et d'interdits, manipulation...) qui poussent de nombreuses jeunes Françaises à vendre leur corps semblent étrangers à Isabelle, dont les propres motivations demeureront nébuleuses jusqu'à la fin. Là se trouve tout le paradoxe du film de François Ozon : il se conçoit comme une étude d'un personnage plutôt que d'un phénomène social, tout en nous laissant sur notre faim en raison de l'impénétrabilité (sans mauvais jeu de mots...) de sa protagoniste et du manque de focus de son script.
Ne nous y trompons pas, j'admire le tact et la pudeur dont fait preuve Ozon vis-à-vis d'un sujet aussi difficile : dès le plan d'ouverture de Jeune & Jolie (clin d’œil du réalisateur à l'un de ses précédents opus, Swimming Pool), il n'est pas question que de sexualité mais aussi de voyeurisme, et plus largement de notre rapport au corps et à la vie sexuelle de ceux qui nous entoure. Ainsi, le film est parsemé de courts passages où un personnage tombe accidentellement sur un autre dans le plus simple appareil ou surprend untel durant l'acte ou en pleine masturbation. Sauf que pour moi, l'intention de ces scènes n'est pas très claire : est-ce une critique de la pudeur "excessive" et du secret qui entourent la sexualité de tout-un-chacun, en décalage avec notre fascination pour celle-ci, ou au contraire de l’hyper-sexualisation de la société ? Ou bien un simple gag récurrent ? J'apprécie qu'Ozon ne nous balance aucune réponse trop évidente à la figure, mais à force de jouer au chat et à la souris, il finit par m'égarer.
De façon générale, je dirais qu'à trop vouloir embrasser, Jeune & Jolie étreint mal. Par endroits, mais en infiniment meilleur, il m'a rappelé cet effroyable petit film indépendant, Chroniques sexuelles d'une famille française d'aujourd'hui, qui comme son titre l'indique, entendait brosser, sinon un portrait exhaustif, du moins une étude du rapport des Français à la sexualité. Il y a chez Ozon un désir de replacer ce phénomène de prostitution volontaire dans son contexte. L'entreprise est louable, mais le traitement trop succinct pour convaincre. Comme dans la piteuse "comédie" de Jean-Marc Barr, la première fois est ainsi traitée comme quelque chose dont il faut se débarrasser, une sorte de pénible rite de passage. Je ne dis pas que la défloraison, masculine comme féminine, doit être sacralisée comme elle l'est souvent par le cinéma américain, notamment les teen comedies, mais la réalité me paraît se trouver quelque part entre la mise en exergue et le détachement le plus complet.
Pourtant, c'est bien ce que semble rechercher Ozon : la réalité. Il vient ainsi nous rappeler en milieu de film, un peu maladroitement, que la prostitution est une activité extrêmement dangereuse pour celles (et ceux) qui la pratiquent, de par l'explication d'une policière et non de manière vraiment organique. De même, la photographie est épurée et la mise en scène très sobre, sans tomber non plus dans l'aspect "documentaire". Il n'empêche, à l'exception d'Isabelle, les personnages ont trop peu de consistance pour devenir davantage que les simples marionnettes de ce qui se rapproche dangereusement du Vaudeville à l'issue d'une rencontre entre Isabelle et son client Georges...
Ce n'est certes pas la faute du casting : dans le rôle principal, très exigeant car tout à la fois extrêmement physique et réservé, la jeune révélation Marine Vacth, Je trouve curieux qu'elle ait été comparée à Laetitia Casta, cette dernière n'étant guère synonyme, à ses débuts, de sexualité mystérieuse et dérangeante mais plutôt de sex-appeal pulpeux et sans fards ! Sensuelle mais extrêmement vulnérable, Vacth parvient à convaincre en séductrice tout en conservant cette fragilité enfantine essentielle au personnage d'Isabelle, adolescente troublante et troublée. Il n'est pas anodin que la meilleure relation (mais pas forcément la plus saine...) qu'entretienne Isabelle dans le film soit avec son petit frère Victor, dont elle fait son complice chaque fois qu'il s'agit de se trouver un petit copain. Géraldine Pailhas est excellente en mère inquiète et dépassée par la crise d'adolescence de sa fille, la confrontation entre les deux femmes étant probablement le point d'orgue du film. Et je ne peux pas ne pas m'attarder sur la touche de légèreté et de sensibilité apporté au rôle du beau-père par le toujours génial Frédéric Pierrot, l'un des meilleurs
acteurs de genre de l'Hexagone.
Jeune & Jolie n'a pas été facile à regarder : on ne me choque pas facilement, mais son érotisme froid et cru, loin de m'avoir émoustillé, m'a parfois proprement écœuré. Ce n'est pas un film facile, et certainement pas à mettre entre toutes les mains. Au-delà de la forme cependant, il y a clairement un fond intriguant, porté par d'excellents acteurs, mais pas toujours bien développé à force de vouloir trop en faire plutôt que de se concentrer sur son sujet principal ; ou bien parce qu'il ne sait pas exactement quel est son sujet, le personnage d'Isabelle ou la prostitution volontaire de manière générale. Il en résulte donc un film un peu frustrant où François Ozon, s'il évite intelligemment de nous imposer des réponses, donne l'impression de ne pas vraiment savoir quelles questions poser...