Critique / Cannes : Jeune et Jolie (par Cineshow.fr)

C’est par le film de François Ozon, l’un des six cinéastes français en lice pour la Palme que la compétition Cannoise débuta ce jeudi 16 mai. Un sujet brûlant pour le réalisateur qui semble revenir au cinéma de ses débuts, abordant des thématiques sensibles et complexes par des chemins loin d’être classiques. Dans Jeune et Jolie, il s’agira donc de la prostitution vue par le prisme d’une jeune fille de 17 ans, campée par Marine Vacth à la grâce presque irréelle. Par son propos, son film rappellera aux festivaliers le souvenir de celui de Julia Leigh présenté en 2011, Sleeping Beauty, à la différence près que Ozon, lui, sait parfaitement où il va et surtout comment y aller.

En démarrant par ce qui pourrait être une romance estivale d’adolescente (acte 1, l’été), Ozon pose le socle de son récit, un terreau favorable à l’éclosion d’une fleur naïve et sublime, un passage à l’âge adulte par l’éveil de sa sexualité. Le portrait d’Isabelle va se faire durant quatre saisons, une année, en passant un peu en accéléré d’un premier rapport sexuel raté sur une plage par un bel Allemand aux prêts rémunérés de son corps à des hommes à la toison grisée. Alors que la prostitution adolescente est l’un des fléaux grandissant dans notre société, Ozon prend le parti du contre-courant car Isabelle ne cherche pas à devenir plus riche, vivre par substitution ou mener une vie de luxe. Elle n’est pas spécialement accroc au sexe mais va devenir malgré tout prisonnière de l’exercice, comme fascinée par celui-ci. Il n’est pas question ici de juger un comportement ni même d’apporter une réponse rationnelle à tout cela, le personnage se dessine de la sorte, en définissant et évoluant au sein d’un cadre moral qui lui est propre. L’acte 2 de Jeune et Jolie enchaîne donc les séquences avec ces hommes qui payent Isabelle, demandant son âge tout en devinant pertinemment de sa minorité. Si le malaise naît de manière évidente, le talent d’Ozon est, pour la plupart des séquences, de dénicher et magnifier cette mélancolie, cette naïveté qui caractérise la jeune fille mais dans les pires moments. Parfaitement consciente de ses agissements, elle dévoile son corps sublime que le réalisateur se plait à filmer sans complaisance, mais avec le plaisir que l’on prend à contempler une oeuvre d’art, fut-elle vivante.

C’est un portrait troublant que présente François Ozon, sa mise en scène a beau demeurer classique, elle reste toujours efficace tout en jouant systématiquement de l’ambiguïté latente des actions de la jeune fille mais sans jamais franchir la barrière du glauque ou le graveleux. La relation qu’elle entretien avec ses parents, avec son petit frère, avec même ses « clients » récurrents est d’une justesse de ton extrêmement saisissante même si d’aucuns pourront y voir une certaine forme de caricature des maux de la petite famille bourgeoisie. Un monde par forcément très emballant sur le plan cinématographique mais que le réalisateur dynamite de l’intérieur, en brisant les murs du bien-pensant et en poussant chacun de ses membres dans ses contradictions. Du petit frère confident lui aussi en pleine découverte de son corps, au rapport conflictuel à une mère qui ne comprend pas ce qui fut raté dans l’éducation de sa fille pour en arriver là, en passant par la séduction ambiguë du beau-père (le regard pourtant extérieur à tout cela), chacun dispose d’une réelle profondeur qu’Ozon n’oubli jamais d’exploiter à chaque étape de son film. Il livre régulièrement un nombre de séquences d’une authenticité rare, basculant de la comédie au drame en une phrase, jusqu’à certains passages d’une violence extrême sur le plan psychologique et des relations. Porté par des acteurs secondaires superbement dirigés, Jeune et Jolie dégage une force de chaque instant, vous remuant malgré l’aspect très formel de l’ensemble par la puissance qui se dégage du fond autant que de la forme.

François Ozon a réussi le pari de signer une œuvre d’une ambigüité folle sur le plan moral (une morale que la société a défini) mais qui se contemple sans voyeurisme. Pour preuve, il suffit de regarder le premier plan du film, du petit frère regardant à la jumelle sa sœur s’exposer seins nus sur la plage sans que le moindre de sentiment de gêne ne se dégage. Jeune et Jolie regorge d’idées brillantes de mise en scène, depuis la difficile perte de virginité d’Isabelle ou celle-ci semble sortir de son corps, se contemplant à quelques mètres comme pour constater la naissance de son destin, son entrée dans un monde d’adultes et la fin de son innocence. Une présence quasi spectrale que l’on retrouve en fin de métrage au moment d’une soirée stroboscopée, après que celle-ci ait mis fin à ses activités. Au milieu de ses camarades du même âge, elle évolue comme une présence sans âge, retrouvant pourtant le véritable amour, simple, accessible mais socialement imposé. Avec sa fausse fin pour clore le 3e acte, Jeune et Jolie aurait pu se clore comme une belle histoire, une belle poésie sombre mais retrouvant le droit chemin. Ozon en décidera autrement en laissant les spectateurs face à l’actrice, seule dans une chambre d’hôtel, dans un dernier plan absolument bouleversant pour dévoiler son véritable éveil.

Le réalisateur français signe avec ce film une oeuvre magnifique, une poésie magnétique d’1h30 qui aurait pu être légèrement écourtée mais qui envoûte tellement qu’il serait regrettable de pointer les quelques petits soucis. Au-delà de cette réussite totale, le film est surtout un tremplin formidable pour Marine Vacth, dont la prestation est fascinante, un mannequin devenu actrice qui confirme ici qu’elle sera une future très grande si elle gère bien ses prochains projets. En un mot, Jeune & Jolie est un vrai choc, un film magnifique qu’il conviendra de revoir encore plusieurs fois pour en saisir toute la sensibilité et la beauté.
mcrucq
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le 16 mai 2013

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Mathieu  CRUCQ

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