Jeune & jolie n'est pas un film sur la prostitution lycéenne, pas davantage une relecture 2.0 de Belle de jour. Dans son dernier film, Ozon parle de la mélancolie, de la sexualité, de la jeunesse, des troubles de la jeunesse, de la jeunesse désirée, de la beauté.

À certains frustrés regrettant qu'Ozon n'ait pas osé davantage [osé quoi ? Faire un film de cul ?], on répondra qu'en ne nous plaçant jamais en position de voyeur, en construisant son récit de telle manière qu'il évite les réponses toutes faites, laissant à son héroïne le mystère de ses désirs [qui est capable d'expliquer ses désirs ?], le réalisateur réussit à éviter la salacerie facile dans laquelle d'autres se seraient vautrés avec délices.

Aux spectateurs déçus, on objectera que le sujet ne se prête pas ici à l'exploration des fantasmes, pas plus qu'il ne doit être abordé sous l'angle de la perversion. Dans Jeune & jolie, personne n'est pervers, et la bonne idée de faire d'Isabelle une pauvre petite fille riche, balaye toute considération misérabiliste. Si elle n'a pas besoin d'argent, pourquoi se prostitue-t-elle ? C'est bien là la question, et c'est bien là que réside l'intelligence du film. Si l'on apprend comment l'héroïne en est venue à vendre son corps, on ne saura jamais vraiment pourquoi, tout simplement parce qu'elle ne le sait pas elle-même.

La mise en scène est souple et délicate, parfaitement adaptée au sujet. Et si l'ambiance nous rappelle quelquefois De Palma, dans ses jeux de "qui surprend qui" et "qui désire qui", dans son mystère aussi, Ozon se garde bien de faire les pieds aux murs, et sait s'en tenir à une ligne sobre, ligne qui lui a toujours permis de réaliser ses meilleurs films.

Film de regards, regards posés sur Isabelle, celle qui est si jeune et si jolie, désirée mais pas seulement, admirée, crainte, Jeune & jolie tisse des liens intimes entre les différents personnages : excellente idée notamment de faire du petit frère un pré-ado admiratif et complice, mais aussi voyeur et gagné de désir.

Si certains dialogues ne sonnent pas toujours juste, si certaines scènes sont un peu à la peine, on ne peut que souligner la réussite d'un film finement construit et qui se tient. Rien à dire côté casting : Marine Vacth impose une présence, un phrasé, une mélancolie singulière, Géraldine Pailhas est très convaincante [de même que Frédéric Pierrot], sans oublier une Charlotte Rampling fort digne.

Qu'on reproche à Ozon ce qu'on veut, mais pas de s'être laissé aller, encore moins de faire preuve d'immaturité. Beaucoup plus riche qu'il y parait, beaucoup plus sombre aussi, Jeune & jolie ne va pas où on veut qu'il aille, et c'est tant mieux.
pierreAfeu
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le 25 août 2013

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