Amour sans amour : Adolescence solitaire

Les deux avant-derniers films de François Ozon (Dans la maison, sorti en 2012 et Jeune et Jolie, sorti l’année suivante) dessinent subtilement les portraits psychologiques des adolescents d’aujourd’hui.
Dans Jeune et Jolie Ozon continue l’attitude du « spectateur actif » : il esquisse quelques tableaux comme un peintre sans pour autant proposer une vision close et achevée des évènements filmés. Cette attitude, que j’adore, consiste à dialoguer avec le spectateur, à lui poser des questions, à lui montrer un morceau de réalité pour en discuter après. C’est comme si nous étions des chercheurs, invités par le réalisateur à examiner un phénomène intéressant. Ozon ne juge pas, il nous fait observer.
Isabelle, fille de 17 ans, s’adonne à la prostitution. Elle vit avec sa mère, son beau-père et un frère cadet. Son père biologique est absent dans sa vie. Il lui envoie 500 euros à Noël et anniversaire. La protagoniste n’entretient pas de relations proches avec la famille. Nous ne savons pas pourquoi elle se lance dans la prostitution. Ozon nous incite à répondre à cette question en se servant de la rhétorique de l’absence. En effet, Isabelle est décrite à l’aide de ses déficits, de ses manques. Son image est illusoirement contradictoire. Ainsi, la fille dont la mère gagne bien sa vie commence à se prostituer. Elle n’a pas besoin d’argent. Elle a tout ce qu’elle veut. Pourtant, Isabelle est pauvre parce qu’elle ressent un vide affectif. La prostitution sert dans son cas à combler ce vide. Sa méthode devrait être doublement efficace. D’une part elle est près des hommes âgés en nouant une relation corporelle (proche), d’autre part elle gagne de l’argent. En effet, l’argent dans son monde incarne une valeur en soi en étant substitut de l’attention. Son père ne s’intéresse pas à elle mais lui envoie de l’argent, sa mère la gâte mais n’entretient pas de relation profonde avec elle. En se prostituant Isabelle obtient l’attention des hommes à l’âge de son père. Elle noue une relation personnelle avec l’un de ses clients. Georges lui fait part de ses remords. En effet, il négligeait sa fille lorsqu’elle était petite. Dans cette relation bizarre chacun retrouve un ersatz de quelque chose de perdu.
Le film de François Ozon n’est pas un divertissement facile. Certains aiment les artistes qui offrent des visions complètes du monde conformément à la règle : l’artiste voit plus que d’autres et sa mission consiste à montrer aux autres ce qu’il voit. Pourtant, cette attitude ne laisse pas de place à l’interprétation, au dialogue. D’autres préfèrent les artistes qui posent des questions. Le rôle du récepteur est alors de répondre à ces questions. J’appartiens à la deuxième catégorie.
Rrobb
9
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le 21 janv. 2015

Critique lue 210 fois

Rrobb

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