Sorti en 1999, Jin Roh est un film d'animation japonais qui n'a pas laissé indifférent. Visuellement sublime, une image magnifique, artisanale, qui rend compte des expressions faciales humaines sans caricature, se rapprochant ainsi d'avantage du cinéma émotionnel; un mouvement plutôt fluide dans le montage pour l'époque et une mise en scène contemplative appuyée par une musique inoubliable comptent à l'effet.
Mais Oshii a écrit cette histoire comme un nouveau conte urbain, empruntant au folklore européen et notamment au mythe du petit chaperon rouge. Et ce dont il veut parler est plus profond et troublant que ce que contient généralement ces petites histoires que l'on se raconte avant de s'endormir.
Le scénariste touche en effet aux périodes de crise économique et politique dans le Japon contemporain, les révoltes et les stratèges. Il emmène le sujet dans une sorte de Japon alternatif où le pouvoir tendrait à se nazifier, en témoigne le choix de l’esthétique nazi pour les casques et les armures des membres de la brigade des loups, l'utilisation du terme "panzer", mais aussi une trame qui suggère la préparation d'une lutte de pouvoir interne entre différents groupes militaires, telle qu'il y en avait dans la polycratie du IIIème Reich.
Dans ce contexte, les mouvements de résistance se sont radicalisé sous la répression systématique.
Et c'est un membre de cette impitoyable brigade qui est un jour confronté à l'inhabituel; il refuse de tirer sur une jeune fille rebelle (un de ces "chaperons rouges") et c'est à l'occasion de ce doute que Oshii, qui nous avait jusque là entraîné dans un univers en lambeau complet, nous interroge sur la condition humaine.
Thomas Hobbes, le philosophe pessimiste de la pensée de droite est à l'honneur; comme souvent dans le genre, c'est sous le point de vue du pouvoir et de la police que la narration commence à prendre place, et je n'ai pas pu m’empêcher de penser à cette scène d'ouverture de Ghost In The Shell: Innocence (sorti plus tard), où le cyborg Batou se retrouve face au dernier instant d'une poupée "terroriste" dont le corps parfait ne peut retenir un cri de désespoir et d'appel à l'aide. Mais l'humanité des personnages croule sous le poids des armures, disparaît dans une relation mutuellement violente; tel un effet de miroir, le pouvoir et la population se détériorent ensemble, et cela ressemble fort à un repas de loups ... .
J'ai retrouvé ici le ton cynique et désabusé de Oshii, celui qu'il avait encore en ce début de XXIème siècle et qu'il avait confronté dans un interview avec l'autre grande figure de l'animation japonaise: Hayao Miyazaki ! Là où ce dernier, en effet, ne pouvait donner à son propre pessimisme le dernier mot d'une phrase qui a commencé avec avec ses engagements de jeunesse, Mamoru Oshii assure que "tout ce qui nous reste à faire, pour le moment, c'est de résumer", parce que pour l'instant l'Histoire de l'espèce humaine semble obstruée par cette victoire de l'économie de marché, et que les gens plein d'idéaux marchent sur des rêves sans matière. Que l'histoire soit obscure en cette fin/début de siècle est un fait; mais de là à ne laisser place qu'à une "image" violente et quasi-totalitaire, ce n'est vraiment pas vivre dans la réalité non plus.
Oshii, assurant préférer les machines, les poupées et les animaux aux humains (qu'il n'aime pas), a depuis fourni des œuvres parfois plus optimistes, notamment ses dernières, mettant en tout cas en scène des élans d'enthousiasme dans une alternative. Mais même pour ceux-là il lui semble nécessaire de couper court à cet élan, tel l'impitoyable George R. R. Martin (Game of Thrones) qui dit s'intéresser bien d'avantage à l'acte de bravoure qu'à son aboutissement; il éprouve le besoin d'en souligner la beauté pour les dissoudre aussitôt dans la même impression que l'Histoire humaine a une fin, du moins jusqu'à preuve du contraire. Pourtant, tous ceux qui ont pensé de cette manière se sont trompé un jour.
Je mets trois étoiles pour le montage, trois pour la musique, et deux pour l'allégorie.