On ne reviendra jamais assez sur la force d’un apriori. N’attendez rien d’un film et il pourra vous enchanter pour simplement avoir su éviter quelques évidents écueils. Placez-en lui de forts espoirs et le moindre détail gênant viendra vous gâcher le plaisir.


Tragédie en tics


Dès les premiers plans, on sent toute la bonne volonté de David Gordon Green, celle en tout cas de bien faire. Derrière chaque cadrage, on renifle le type appliqué, l’artisan sérieux et honnête qui fait tout pour rendre la copie la plus impeccable possible. Le réalisateur aime la nature (et surtout les forêts, si on se souvient de son récent Prince of Texas) mais si la mayonnaise prenait de manière fugace au détours de certaines scènes dans son précédent film, c’est qu’on ne savait pas à chaque instant vers quoi le récit tendait.
Cette fois, presque dès le début, on sait très exactement comment va se conclure ce drame moderne, ce qui aurait pu ne pas être grave si chacun des éléments qui parsèment le chemin n’était pas très précisément et sans surprise balisé.


Développement du râble


Beaucoup de choses font sens. Sans doute même un peu trop.
Le fait d’empoisonner les arbres comme on s’empoisonne l’existence avant de replanter l’espoir n’est qu’une des innombrables métaphores un peu trop filées du récit. La fatalité, née de l’esprit dépressif d’un héros qui cherche la rédemption comme un jeune SensCritiquien cherche le like, n’est que trop limpidement servie par les avanies multiples et mécaniquement récidivantes des deux bad-guys de l’histoire.
(pas étonnant, cependant, qu’à force de se nourrir de lapins des bois, les types finissent par tomber sur le râble du héros)


Orage mécanique


Plus encore que ce père horrible qui maitrise avec maestria le panel complet des turpitudes que l’on devine ataviques (un alcoolique qui ne sait pas bosser, qui bat sa femme, qui tabasse son fils pour lui piquer son argent, et prostitue sa fille), le personnage de Willie-Russell (interprété comme il peut par Ronnie Gene Blevins) fait un peu trop office de faire-valoir pour complètement nous émouvoir. Ennemi opportun des deux personnages principaux de l’histoire (Joe et Gary), il n’affirme sa présence que quand un nouveau chapitre du drame a besoin d’être écrit.


Cage, d’ascenseur


Enfin, on l’a lu un peu partout, le fait que le bon Cage interprète un rôle sobrement (contrairement à son personnage) dans un film potable ne suffit pour qu’on le nomme immédiatement aux oscars. A l’image des arbres morts qui peuplent la triste forêt qui sert de décor à ce petit théâtre de la rédemption, le scénario manque de ce supplément de sève qui aurait conduit à une forme de surprise, qui seule permet un bon film.


Green n’est pas Nichols à qui on l’a trop rapidement comparé (pas plus que Nichols ne ressemblait à Malick), car quand le premier ne fait qu’effleurer la surface des choses et ne se servir que de l’apparence du monde pour produire la coquille d’une œuvre à la séduisante apparence (mais un peu vide), le second fait exactement le contraire: il part d’une réalité profonde et souterraine pour produire un film vénéneux à la texture agréable.


(Reste son premier film, George Washington, dont un de mes précieux éclaireur n’a cessé de me dire le plus grand bien, et qu’il va falloir que je regarde rapidement, pour essayer de mieux cerner le talent réel du bonhomme)

guyness

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