Après des débuts somme toute assez modestes, il est un fait irréfutable : John Wick, série B sortie presque de nulle part en 2014 est aujourd’hui une franchise bien implantée dans le paysage cinématographique contemporain.


Ce succès peut s’expliquer assez simplement : alors que le cinéma d’action américain se vautre dans le sur-découpage et la shaky cam, caches-misère du peu d’implication de ses interprètes, John Wick puise ses principales inspirations du cinéma hongkongais. Le parti pris évident est ici de rendre leurs lettres de noblesse aux métiers techniques qui donnaient toute la saveur de ce genre aujourd’hui moribond.


Et la principale particularité du projet c’est d’être porté par un duo de réalisateurs issus du monde des cascades : Chad Stahelski et David Leitch. Ils ont pour ainsi dire gravi les échelons du plateau de tournage, de simples doublures à coordinateurs des cascades, puis réalisateurs de seconde équipe avant d’embrasser une carrière tardive de réalisateurs grâce à John Wick. Le second se réserva une place de producteur à partir du deuxième volet, histoire de réaliser de son côté Atomic Blonde et Deadpool 2, laissant plus de latitudes à Stahelski.


L’autre gros atout de la franchise est d’avoir su construire son image de marque sur le seul nom de son interprète principal : Keanu Reeves. En perte de vitesse dans les années 2010, le comédien essayait tant bien que mal de se remettre en selle après le succès colossal de la trilogie Matrix. Mis en difficulté par l’accueil plutôt défavorable de la plupart de ses projets, le salut lui sera offert par son ancienne doublure sur la saga des Wachowski : Stahelski lui-même. Stakhanoviste de l’extrême, l’interprète accepte sans broncher les préparations physiques rigoureuses. Et le résultat à l’écran est impressionnant : dans son costume noir, Reeves n’est plus le good guy qu’il semble être à la ville, il est le croquemitaine. Froid, méthodique, implacable. Peut-être davantage dans ce troisième opus, le plus généreux des trois à mon humble avis.


Généreux, John Wick Parabellum l’est déjà dans l’approche très cinéphile de Stahelski. À l’instar des films Matrix précédemment cités, dont le long métrage reprend d’ailleurs trois de ses interprètes, le réalisateur se plaît à réaliser sous influences et pratiquer les ruptures de ton. Dans cet univers de film noir, à tendance parfois pulp, Stahelski n’hésite pas à citer directement Buster Keaton dans les premières secondes de l’ouverture, puis de façon plus subtile dans la somme des scénographies burlesques que l’on pourrait tout aussi bien croire empruntées au cinéma de Jackie Chan. Le réalisateur étonne et rend un hommage sincère et appuyé aux idoles de sa cinéphilie. Une culture cinématographique largement imprégnée de films d’arts martiaux, des chefs d’oeuvre des ténors du cinéma hongkongais (John Woo, Ringo Lam et Johnnie To) et même au western avec une parenthèse calquée sur le passage de Tuco chez l’armurier de Le Bon, la Brute et le Truand, inscrivant définitivement la saga dans le cercle fermé du gunporn. Difficile également d’occulter les œillades de plus en plus insistantes lancées en direction de l’excellent diptyque The Raid, dont le film récupère non seulement deux excellents interprètes martiaux, mais également la structure, très vidéo-ludique, pour sa dernière demi-heure.


Généreux il l’est aussi en terme d’action pure. John Wick 3 est un parangon de surenchère.
On pensait déjà les deux précédents volets au sommet, mais devant cette suite, difficile de ne pas se retrouver sur le séant. Baba Yaga distribue les petits pains aux laids et les pruneaux sans peur d’être congestionné. Il tue avec ses paluches, un livre, un cheval, des motos, une trentaine d’armes blanches, des flingues en pagaille, des fusils à pompe et des fusils d'assaut, battant vraisemblablement tous les records cumulés des Stallone et autres Schwarzy sur le seul aspect du bodycount. On aimerait bien sortir de là en faisant des vannes à la Chuck Norris, mais il est bon de se remémorer que Keanu est en fait aussi adorable et mortel qu’un des toutous de Sofia. Pour donner corps à ces boucheries extrêmement stylisées, Stahelski se repose sur une équipe d’artistes martiaux, de cascadeurs, accessoiristes, maquilleurs et VFX artists qui ne manquent clairement pas de talent. Rarement les coups n’ont fait aussi mal, rarement le pouvoir d’arrêt des armes n’aura été aussi bien mis à l’honneur et rarement les impacts de balles n’auront été aussi percutants. Mention spéciale pour le nouveau fusil à pompe, qui réconciliera les déçus du Benelli du second chapitre. Spectacle hallucinant d’hémoglobine, sons et lumières, je n’ai remis ma mâchoire en place que pour mieux la perdre de nouveau à l’occasion d’une cascade complètement fumée quelques secondes plus tard.


La performance physique est ici primordiale et diablement bien mise en valeur par la réalisation et la composition de chaque plan. Certes, on croit déceler au bout de trois films certains archétypes de réalisation dans les bastons devenues classiques pour la licence, mais c’est ici davantage un jeu de fondations employé pour bâtir d’autres projets plus ambitieux. Outre les participations animales et les contingences inévitables qui en découlent sur le set, le film délivre de grands moments de réalisation. Les travelings sont impeccables, la lecture de l'action toujours aisée, et les partis pris sont toujours pertinents, parfois impressionnants, mais jamais putassiers. J’ai passé les trois quarts du film à me demander comment certains images pouvaient être réalisés tant le timing des cascadeurs, la casse des décors et les chorégraphies étaient parfaitement cadrés. Je peux difficilement de me retenir de vous évoquer brièvement la longue séquence de combat en mode team-up, un des plus beaux morceaux de cinéma qu’ait offert la licence à ce jour. Tout y est parfait. La caméra va et vient d’un personnage à l’autre, d’un combat à l’autre, gardant dans le cadre quasi systématiquement une composition riche, laissant toujours entrevoir la venue de nouveaux assaillants, un chien ou le second protagoniste lutter dans l’arrière-plan. Et je ne parle même pas du montage exceptionnel qui laisse aux séquences le temps d’appuyer leurs effets, soutenant constamment le rythme l’action sans pour autant trahir le moindre artifice technique ou la lisibilité de la scène. À l’heure où l’on confond dynamisme et montage ultra-cut, c’est un plaisir de voir des cinéastes comme McQuarrie et Stahelski promouvoir une forme de cinéma d'action américain presque à contre-courant.


Côté photographie, l’augmentation du budget depuis le premier film permet, à l’instar du second volet, de se séparer momentanément du New Jersey et de New York, laissant le chef opérateur se faire plaisir avec des palettes de couleurs saturées d’ocre, forcément beaucoup plus chaudes, avant de rentrer au bercail pour un dernier acte beaucoup plus froid, quasi-macabre. La grande pomme, surtout sous un déluge constant, demeure à bien des égards un théâtre splendide, comme Scorsese ou plus récemment Lynne Ramsay ont su la glorifier dans leur exercice du septième art. Les intérieurs ne déméritent pas non plus, qu’il s’agisse de la bibliothèque ou des infrastructures séculaires. L’Hôtel Continental restera toujours en tête de cortège, avec son atmosphère hors du temps, presque désuète, et le grand luxe feutré qui le caractérise. Le film sera l’occasion de le redécouvrir sous d’autres atours, tout autant à son avantage, avant d’y plonger plus durablement dans un projet de série éponyme, qui n’en finit plus de ne pas sortir.


Côté casting on retrouve bien entendu un Keanu Reeves en très grande forme, toujours parfait tant dans son jeu minimal que dans ses performances martiales. Il faut bien se dire qu’aujourd’hui à Hollywood, il n’existe que deux acteurs de cette trempe, Tom Cruise et Keanu lui-même. Deux grands malades cinquantenaires qui persistent, à l’image d’un Jackie Chan, dans des rôles extrêmement physiques et semblent prendre un pied incroyable dans ce genre de films. Associés aux bons cinéastes, ce plaisir ne peut être que communicatif.


Dans la continuité de la saga, on retrouve bien évidemment Ian McShane, qui ne semble avoir conservé qu’une seule et unique façon de jouer où qu’il passe, et Lawrence Fishburne campant toujours les mêmes rôles. En définitive, les bonnes surprises émanent de deux petits nouveaux.
La première, c’est Hale Berry qui incarne Sofia, la maîtresse d’hôtel redoutablement affûtée qui sera un temps la partenaire du personnage principal. Armée d’un caractère bien trempé, elle livre une prestation qui n’est pas sans rappeler celle de Charlize Theron devant la caméra de Leitch récemment. À l’écran, elle exécute un ballet létal, secondée par ses mortels cerbères, aussi mignons que féroces, nourris à la gonade fraîchement arrachée.
Le second interprète que j’ai eu beaucoup de plaisir à retrouver c’est Mark Dacascos qui s’éclate dans son rôle de maître ninja bi-classé fan de Wick et amateur de chats. Un antagoniste aussi redoutable que drolatique, bien loin des sempiternelles caractérisations unilatérales qu’il est facile d’apposer à ce genre de personnages. Petit clin d’oeil “amusant”, Chad Stahelski a débuté sa carrière en tant que doublure post-mortem de Brandon Lee dans The Crow d’Alex Proyas, quatre ans avant que Dacascos ne reprenne ce rôle pour la série télévisuelle.
On notera également quelques têtes bien connues dans les seconds rôles, entre autres Jerome Flynn dont on a pu déplorer l’absence dans la dernière saison de Game of Thrones et Jason Mantzoukas, à peu près aussi barge que dans l’excellente série Brooklyn Nine-Nine.


Mais John Wick 3 est également l’occasion pour Derek Kolstad d’étoffer une fois de plus le background assez unique de la saga, s’aventurant dans les plus hautes sphères de la table, plongeant un peu plus dans les rouages de cette étrange société et dévoilant au passage quelques bribes du passé du personnage principal. Rien qui ne soit franchement capital, mais cette façon de distiller au compte goutte les éléments de la diégèse pour favoriser la narration environnementale est plutôt réussie. On pourra en revanche déplorer une complexité superfétatoire de la trame narrative de ce troisième chapitre et son utilisation en tant que simple set up, comme le laissait entendre, ô surprise, son titre.


La question de savoir s’il faut aller voir John Wick Parabellum est triviale. Si vous avez apprécié les films précédents, ce me semble être un incontournable.
En revanche, si vous n’êtes pas dans ce cas de figure , vous n’êtes toujours pas le public cible.
Le film n’est qu’un perfectionnement de la formule que vous connaissez d’ores et déjà. Mais à mes yeux, si vous partagez ma passion pour le cinéma d’action, ce troisième volet est l’un des tous meilleurs films du genre de ces dix dernières années.
C’est dit.


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YvesSignal
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le 12 juin 2019

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Yves_Signal

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