Avec sa guitare, Johnny à l'idée...

... de faire oublier son passé de terreur de la gâchette.
Et c'est à peu près la seule bonne du film.

Bon, ceux d'entre vous qui me font le plaisir infini de lire régulièrement mes modestes critiques le savent: je suis plutôt porté sur le grand (ou vieux) classique ces derniers mois, et les westerns en particulier. Tout ça pour dire qu'il ne faudra pas, ici, venir m'intenter un procès de délit de salle gueu... de vieux films ici. D'autant que je suis plutôt client du Ray.

Mais le "classique" a ses limites. Le western en technicolor flamboyant (non, en fait ici, il s'agit du procédé "True color") a ses imites. Le vieux scénar en bois truffé d'incohérence a ses limites !!!

Je me vois même surpris que tant d'éclaireurs chers à mon cœur aient pu à ce point tomber dans le panneau. Surtout celui, là, bougon, si attentif, d'ordinaire, à la cohérence des personnages et de leurs motivations.

Tenons-nous aux deux personnages principaux, par exemple.
Les deux donzelles.

Joan Crawford campe une Vienna héroïque et courageuse qui tient tête et fait front à la population entière de l'endroit, agressive et vengeresse. D'abord, faudra m'expliquer comment les deux mâles principaux de l'histoire peuvent à ce point être devenus fous d'amour pour cette vieille chouette glaçante, au pouvoir de séduction proche de celui de ma brosse à dent qu'il faut que je change depuis deux bons mois.
Une espèce de rigueur cadavérique envahit régulièrement le visage de cette curieuse bête, et si vous ajoutez à cela des chemises dont l'intensité des teintes est propre à opérer un décollement précoce de la rétine PLUS un ersatz de plumeau (après usage) en guise de coiffure, vous comprendrez que j'ai eu souvent l'envie forte de détourner pudiquement les yeux, et n'ai pas compris comment les héros amourachés de la demoiselle sur le retour n'ont pas eu envie d'en faire autant.

Je vous l'accorde, cette considération est assez personnelle. Admettons. Mais quand même.

La seconde passionnera, harpie hystérique, représente à peu près tout ce que je déteste dans les films des années 50 (tient, ça tombe bien) quand le scénario est capable de manquer totalement de finesse et de subtilité. Le principe des "pauvres-innocents-persécutés-par-les-foules-monolitiquement-stupides" qui m'a fait détester tant de Hitchcock, par exemple.

D'entrée de jeu, elle veut attenter à la vie de Vienna, d'une manière si grotesque et acharnée que ses tentatives en deviennent transparentes auprès de tous. C'est d'autant plus indigeste que le jeu de Mercedes McCambridge est à l'image de son patronyme dans ces années d'après-guerre: lourd et peu maniable.
Mais alors pourquoi tout le village (dont le shérif et l'espèce de notable, une sorte de juge pataud, inexpressif et poltron, totalement éloigné de toute crédibilité) la suit ainsi ? Qu'est-ce qui fait qu'ils écoutent cette illuminée qui, devant tout le monde, va contraindre un prisonnier à dire tout ce qu'ELLE veut entendre s'il veut la vie sauve ?
Le coup du lobby des bouseux possesseurs avides de terre est un peu juste pour justifier tout ça, non ?
Et pourquoi vont-ils enfin cesser de la suivre ("c'est une histoire entre elles") à deux minutes de la fin de l'histoire, alors que le grand méchant désigné (Dancing Kid) est encore en vie, au milieu de la mêlée ?
Ce ne sont là que deux ou trois exemples d'une série d'incohérences qui parsème trop régulièrement le film.
(allez, un autre détail ? Les chemises des cow-boys sont toujours impeccables, propres comme des sous neufs, même après bagarre, fuite, tempête, chute. Si c'est pas insupportable, ça)

Vous l'avez compris, pas grand chose ne tient debout dans cette histoire caduque, aux passions un peu trop fiévreuses (le combat de coq de hayden et Brady alors que la cabane est assiégée vaut son pesant de cacahouètes...), à l'interprétation un peu trop ampoulé, et au casting bancal.

J'ai eu l'impression d'être replongé dans une adolescence difficile, lorsque je découvrais tant de films stupidement manichéens si pitoyablement doublés (et oui, c'était l'époque dramatique des VF) qui m'ont tenu éloigné si longtemps des chef d'œuvres qui pourtant, sont aussi la marque de ces époques bénies.

Et c'est d'autant plus dommage que certaines scènes sont superbes et nous rappelle à quel point Nicolas Ray peut être un grand metteur en scène: la scène du piano, celle du saloon qui flambe, ou même, cet instant étrange et très beau quand cette grande saucisse de Johnny pénètre pour la toute première fois dans le l'antre de Vienna, alors que la tempête redouble de violence dehors.
Sans parler de quelques bonnes gueules en second rôles (Ernest Borgnine ou John Carradine par exemple).

J'avais pourtant un indice: l'association d'un Johnny et d'une guitare avait peu de chances d'être heureuse.
guyness

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