Attention, spoilers :
En s'intéressant aux origines du Joker, personnage qui incarne en quelque sorte la folie ambiante de Gotham, sans avoir justement d'identité précise ou de passé certain, le film assume déjà un certain positionnement, lequel se retrouvera dans :
1) La possibilité qu'Arthur Fleck (le futur Joker) soit le demi-frère de Bruce Wayne (le futur Batman) : le film laisse planer le doute sur ce point, soit que sa mère ait eu une aventure avec Thomas Wayne, ce que celui-ci chercherait ensuite à cacher (Ex : via la falsification de dossiers médicaux) ; soit qu'elle se soit convaincue elle-même de la réalité d'une relation strictement imaginaire (Ex : en raison de troubles mentaux)
2) La personnalité de Thomas Wayne, richissime père du futur Batman : présenté ici comme un homme brutal et égocentrique, alors que les précédents films dépeignaient plutôt un homme bon et soucieux du bien commun
3) Une autre approche des habitants de Gotham : alors que les précédents films présentaient une opposition un peu facile entre gentils et méchants habitants de Gotham, celui-ci souligne plutôt la misère et la détresse dans lesquelles sont plongés une grande partie de ses habitants, à l'inverse d'une classe restreinte de privilégiés (dont Thomas Wayne et Murray Franklin font partie), les incitant ainsi à la révolte. Cet aspect, rapidement évoqué dans The Dark Knight Rises (lorsque Selina Kyle dit à Bruce Wayne que l'orage gronde, et qu'il se demandera bientôt comment il pouvait vivre si grassement alors que les autres avaient si peu), constitue à mon sens l'un des plus intéressants du film : d'abord en ce qu'il légitime pour partie la criminalité présente à Gotham ; ensuite en ce qu'il sous-entend que Batman ne s'attaque pas aux causes de cette criminalité (la misère et les inégalités), mais seulement à ses conséquences (les criminels eux-mêmes et leurs victimes)
4) Le fait que le Joker ait indirectement pu donner naissance à Batman : le personnage de ce dernier trouve son origine dans le meurtre de ses parents, présenté ici comme une conséquence de la révolte sociale finalement déclenchée par le Joker
De mon point de vue, la multiplication d'intrications entre le Joker & Batman n'était pas souhaitable, ces deux personnages s'étant historiquement construits de façon séparée. À la rigueur, on aurait pu s'en tenir à un simple clin d’œil, par exemple via l'emploi passé de la mère d'Arthur Fleck dans le manoir des Wayne. Dans le même sens, si la scène finale du film rappelle le nihilisme du Joker, véritable agent du chaos, il ne reflète à aucun moment la grande intelligence du personnage (traditionnellement visible dans ses objectifs et dans les moyens imaginés pour les atteindre), ni le schéma de pensée propre au personnage (celui-ci réagissant ici aux évènements de façon convenue et prévisible). Reste que l'ensemble pourrait finalement n'être que le fruit de l'imagination du Joker, puisque, à l'instar de certaines séquences clairement issues de son esprit (Ex : sa relation avec sa voisine Sophie Dumond, sa première intervention lors du show de Murray Franklin), l'épilogue le montre seul dans une cellule (à l'inverse du plan précédent, où il était pourtant libre et entouré d'une foule l'acclamant), sous-entendant que les évènements précédents pourraient en réalité n'avoir jamais eu lieu.
Si l'on excepte l'univers fictif des comics, le film est à la fois réussi et dérangeant en ce qu'il s'avère finalement très réalise, a fortiori grâce à la sublime interprétation de Joaquin Phoenix. À l'inverse des autres personnages de fiction (Ex : Batman, le Pingouin, Bane), la folie du Joker reste finalement accessible, compréhensible, voire légitime. Le personnage est ainsi représenté comme étant sur une pente irrémédiablement glissante, peu maître de ses choix, à tel point qu'il importe finalement peu qu'il s'appelle Joker, tant il ne semble pas lié à cet univers en particulier. C'est à mon sens ce qui fait l'intérêt de ce film, mais également sa dangerosité.
En un mot comme en cent, le Joker est ici présenté comme le reflet de la société violente dans laquelle il vit, ce qui est évidemment lourd de sens.