Le cinéma mainstream hollywoodien des années 2010 nous a habitué à deux univers de films de super-héros. Le premier, Marvel, nous offre un cinéma classique tout public où la plupart des films fonctionnent avec des blagues et des héros qui sauvent la veuve et l'orphelin. (La plupart. Les deux films Deadpool et la trilogie Wolverine sont loins de suivre cette démarche.) De l'autre côté, on a DC qui propose des personnages plus sombres et plus matures qui évoluent dans des films qui sont justes passables mais ça en plus. Pour une fois, DC nous proposait un truc qui semblait avoir de la gueule. J'attendais Joker avec impatience, même si l'idée de ne pas voir le chevalier noir dans le film ne m'emballait pas trop. Tout le monde s'accordait à dire que ce film était un pur chef-d'oeuvre, et le voir remporter quelques prix dans des festivals m'intriguait beaucoup. Après tout, si il avait été récompensé c'était qu'il devait l'avoir mérité non ? Et puis la bande-annonce est tombée. Après l'avoir vue je ne savais pas si je devais m'attendre à voir un film à la American Psycho ou à un truc qui ressemble à une satire sociale. Ce qui était sur, c'était qu'en aucun cas je ne m'attendais à voir un film qui parlait d'un des méchants les plus emblématiques du monde de la BD, du moins, comme je l'entendais. L'acteur principal, Joaquin Phoenix avait l'air très impliqué dans le personnage et c'est en parti pour ça que je suis allé le voir.
Contrairement au dernier Joker en date, à savoir Jared Leto dans le risible Suicide Squad, celui qu'on nous présentait à travers cette bande-annonce avait une gueule et un charisme qui faisait qu'on pouvait le reconnaître entre mille. Donc, est-ce que le film méritait ses récompenses, son statut "d'oeuvre culte" que la plèbe lui avait décerné avant même sa sortie en salles ?
Absolument. Mais d'abord une petite rétrospective sur le personnage s'impose pour cibler son évolution à travers les âges.
En 80 ans d'existence, le Joker est passé par tellement d'aspects qu'il serait impossible de tous les énumérés, ou alors il me faudrait un après-midi complet et vingt pages de document word. Or, comme on est là pour parler uniquement de cinéma ça réduit considérablement la liste. Je me contenterai donc des deux versions les plus importantes du personnage représentées au cinéma, à savoir celle de Jack Nicholson dans le film Batman de 1989 réalisé par Tim Burton et celle de Heath Ledger dans The Dark Knighr de Chris Nolan datant de 2008.
Commençons par Nicholson voulez vous ? Au début de Batman, le Joker est un chef de gang, un spécialiste du crime organisé qui a l'habitude de glisser entre les doigts de la police. Il assassine les parents d'un gamin un soir et créer sans le vouloir Batman à travers son acte. C'est d'ailleurs ce dernier qui arrive à coincer le coincer et, manque de chance, le jette dans une cuve d'acides chimiques. On assiste à l'effet inverse à savoir Batman qui créer son ennemi juré, toujours par inadvertance. Tout le film s'articule sur le fait que Batman et le Joker sont les deux faces d'une même pièce et que l'un ne peut exister sans l'autre, ce qui est quelque chose de plutôt brillant qui renforce les relations complexes qu'entretiennent les deux personnages.
Chez Ledger, le Joker n'a pas d'origine. Le personnage sort de nulle part et est présenté comme un putain de psychopathe qui peut tuer sans vergogne tout ce qui bouge dès le début du film. D'où vient-il ? Quelles sont ses motivations ? On n'en sait rien et c'est justement ça qui le rend flippant. De plus le personnage voit en Batman la seule personne capable de l'arrêter, c'est pour ça que durant tout le film le clown s'amuse à torturer psychologiquement le héros. Pour lui faire faire un choix entre sa petite amie ou une conaissance importante par exemple.
Là où les deux versions s'opposent c'est que le Joker de Nicholson reste un personnage de BD alors que celui de Ledger est une approche plus terre à terre et donc réaliste. En vingt ans d'écart, on est passé d'un clown mafieux à un véritable malade mental... et le personnage reste le même. Je n'ai pas dressé cette évolution juste pour faire joli. Si j'ai écris ça, c'était pour montrer qu'à travers l'évolution d'un seul personnage, on voit aussi une évolution des mentalités, de la société et donc, du cinéma. Nos préoccupations d'il y a dix ans ne sont plus les mêmes que celles d'aujourd'hui, et si l'on prend les années quatre-vingt pour point de repère et que l'on compare ça à nos jours, la différence est d'autant plus flagrante. Donc la cuve d'acide c'est bien, c'est ce qui faisait peur avant. Mais quitte à proposer une origine au personnage, plutôt que de le lancer dans des produits chimiques, ça serait pas plus intelligent de le lancer dans la societé elle-même ? Cette même société sans aucune pitié, qui ne fait aucun cadeau et où la moindre erreur est fatale ? Vous pensez que je carricature peut-être un peu, mais combien de fois vous êtes vous retrouvez dans la merde à cause d'un simple truc dit de travers, d'une action maladroite ou d'un geste mal placé au mauvais moment ?


Réfléchissez-y, vous verrez que ce n'est pas tant de la carricature que ça.


Joker par de ce principe là. La vie est une sale race et il faut vivre avec. La première chose qui frappe est donc une approche très nihiliste (voir Nietzchéenne) de la société et ce dès la première scène. Arthur Fleck est un comique raté. Quelqu'un qui a du mal à joindre les deux bouts pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa mère mourante. Il travaille dans une entreprise où les employés sont des clowns chargés d'aller faire tourner des panneaux en carton dans la rue ou de rendre le sourire à des enfants malades, donc rien de bien mirobollant. De plus le pauvre Arthur souffre d'une maladie mentale qui se manifeste sous la forme d'un rire plutôt angoissant qu'il ne peut contrôler. On se demande vraiment comment un personnage comme ça pour qui on a pitié va devenir l'un des méchants les plus icôniques du cinéma de super-héros, voir de la pop-culture en général. Et c'est là le premier gros point fort de ce film. Arthur, ça pourrait être n'importe qui. On s'attache à lui à cause de son quotidien plus que difficile, on se met à sa place à travers ce qu'il fait chaque jour pour avoir des conditions de vie tolérables. Et quand la descente aux enfers se met en place scène après scène, le film devient vraiment dérangeant. On éprouve de la pitié pour un type qui vient d'abbatre quelques mecs, ça nous gêne mais comme on sait ce que le personnage endure ben... ça ne nous gêne plus tant que ça. Petit à petit cette pitié que l'on éprouve pour Arthur va se transformer en quelque chose d'indescriptible. On ne va plus s'attacher au personnage, bien au contraire. Le film prend le contrepied de ce qui se fait dans ce genre de film et c'est foutrement bien fait et loin d'être stupide dans l'ensemble. Quand à sa relation à Batman, elle est presque omniprésente dans le film. Malgré le fait que le justicier ne soit pas montré à l'écran, les références sont légions. Le fait qu'Arthur croit aux promesses que Thomas Wayne, le père de Bruce, fait à la télé, la forme du miroir dans lequel se maquille Arthur qui ressemble au masque du justicier et surtout la fin du film qui fait écho au début des comics et donc à la création du mythe de Batman.


Revenons d'ailleurs sur cette fin. Là où les autres films commencent sur l'assassinat des parents de Bruce Wayne, Joker fait le choix de ne le montrer qu'à la fin. On peut y voir quelque chose de symbolique, comme la fin d'une ère ou d'une époque. Thomas Wayne est l'incarnation parfaite de l'homme d'affaires qui a réussi dans la vie, donc l'antithèse parfaitre d'Arthur. Sa mort représente donc, à mes yeux, la fin d'une période de troubles et d'incertitude qui laisse place à une anarchie complète, ce qui renforce l'idée de descente aux enfers mentionnée plus tôt. La folie a gagné Arthur progressivement, maintenant elle gagne la société toute entière. On peut ainsi voir une inversion des tendances. La société dominait Arthur au début du film et c'est ce dernier qui est acclamé par la foule à la fin et qui sert de figure de proue au mouvement anarchiste.


On pourrait même aller jusqu'à dire que cette scène finale a quelque chose de marxiste car on a en image la victoire du prolétariat sur le capitalisme, prolétariat symbolisé par Fleck et la foule, et le capitalisme représenté uniquement par Thomas Wayne. C'est peut-être un peu trop poussé, mais j'aime bien cette idée. Bref.


Fin du spoil revenons au reste.


Donc au final, que retenir de Joker de Todd Phillips ? Ce n'est clairement pas un film à mettre entre toutes les mains. C'est parfois cru, très violent et on n'en sort pas indemne. Le film retranscrit à merveille les problèmes actuels et dresse à travers Arthur Fleck le portrait de toute une classe sociale. Bien qu'au début, l'idée de donner des origines au personnage du Joker s'avérait risqué, le pari est très réussi. Le film est une réussite totale de bout en bout. Méritait-il ses prix ? Absolument. Méritait-il l'acclamation de la plèbe entière ? Evidemment.


Une fois sorti de la salle, je vous invite à regarder le monde d'une manière plus attentive.
Si y'a bien un truc que je peux vous garantir, c'est que vous allez rire jaune.

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le 24 oct. 2019

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