Cette année 2019 aura mis à l'honneur la lutte des classes dans 2 des festivals les plus prestigieux au monde : Cannes a sacré Parasite, Venise a récompensé Joker.
L'un est un mélange de genres drôle, acide, imprévisible, subtil, l'autre est Joker.


Car la surprise de Joker c'est justement son aspect politique. Là où l'on pouvait s'attendre à une dimension avant tout psychologique, là où les journalistes américains redoutaient que le Joker ne soit le représentant des incels ("involuntary celibate", cette communauté de jeunes blancs misogynes et solitaires radicalisés en ligne à laquelle on doit pas mal de tueries de masse aux US), on est en fait face à une histoire de lutte de classe.


Ce n'est pas la première fois que les films de super-héros mettent en avant des thématiques socio-politiques : dès 2012 The Dark Knight Rises se frottait au mouvement Occupy Wall Street, et en 2016 Batman v Superman mettait en scène un milliardaire qui voulait botter les fesses à un étranger.
Mais ces 2 films, bien qu'inscrits dans une ambition plus spectaculaire et moins réaliste que Joker, daignent au moins proposer un traitement de ces thèmes. Cela reste léger, mais Nolan nous montre comment ceux qui prétendent être les portes-paroles du peuple sont parfois des hypocrites manipulateurs (on se souviendra de la vidéo qui a pas mal tourné mettant en parallèle le discours d'investiture de Trump avec celui de Bane), et Snyder, bien que maladroitement avec "MARTHA ????", souligne que l'étranger (littéralement "alien" en anglais) a plus en commun avec nous que ce qu'on pense.


Joker, quant à lui, agrège en début de film les références socio-politiques au monde d'aujourd'hui, pour finalement... n'en faire absolument rien.
Par exemple le milliardaire Thomas Wayne avait été pensé au début de la production du film comme un personnage "à la Trump" (Alec Baldwin était dans un premier temps pressenti pour le rôle à la même période où il incarnait le 45ème président des Etats-Unis au Saturday Night Live), mais finalement ce n'est qu'un cliché de gros riche méprisant les plus faibles, là où Trump sait se mettre dans la poche les classes populaires.
Ces dernières ne sont pas non plus épargnées par une représentation simpliste et grossière. Qui choisissent-elles comme porte-étendard pour représenter leur lutte ? Un assassin. Ok.


Ce côté "tous pourris", en colère contre tout et son contraire, qui amène sans aucune surprise ni tension à la conclusion finale, "you get what you fucking deserve", la violence, donne parfois l'impression d'assister à un film d'ado en pleine crise (vous savez, ceux où à la fin le héros soit tue tout le monde, soit se suicide).
Et comme le film crie très fort dans les oreilles mais en fait ne dit pas grand chose et enfonce les portes ouvertes, chacun y voit le message qu'il veut. Pratique.


Mais parlons du personnage éponyme. Il y a certes une belle idée autour du rire au début du film et Joaquin Phoenix se débrouille bien, mais, euh, comment dire :


En quoi est-il fou ?


Ses actes les plus violents ne sont jamais motivés par la folie mais par la vengeance.
Comparer les différentes incarnations du personnage n'est pas toujours très pertinent, mais Jack Nicholson et Heath Ledger butaient avec désinvolture des gens à droite à gauche, souvent sans aucune raison, ce qui les rendait respectivement drôle et effrayant. La folie était là, fulgurante et imprévisible.


Mais en épargnant le nain, parce que ce dernier l'a toujours "bien traité", le Joker de Phoenix confirme qu'il est un minimum rationnel dans ses choix...


Il n’agit pas comme un fou furieux, mais juste comme quelqu’un d’ultra-violent face à ceux qui le méprisent.


En fait le film nous promet de mettre en scène l'histoire d'une figure du mal, mais n'ose à aucun moment s'aventurer dans un terrain réellement subversif qui pourrait le rendre repoussant ou terrifiant. Tout cela reste finalement très convenu et poli, le Joker est pas gentil avec ceux qui ne sont pas gentils.
On est à des années lumières de la spirale vertigineuse de chaos que le Joker de Ledger entraînait dans son sillon.


Finalement ça me rappelle un peu Deadpool, qui passait le film à se moquer des super-héros et de leur clichés pour finalement tous les reproduire. Mais comme ça balançait deux-trois "fuck" et ça fait des blagues de cul ça se croyait subversif.

Jeanbayljean
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le 16 oct. 2019

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Jean Bayljean

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