Merci. Oui, merci. Alors que tout espoir semblait perdu quant à la possibilité de proposer ne serait-ce qu'un semblant de qualité dans une adaptation de comics, voici que sort de nulle part Joker, fable sociale désenchantée renouant avec la tradition selon laquelle un film dit « de super-héros » peut proposer un spectacle ambitieux et artisitquement juste, comme Spider-man de 2001 ou plus partiellement la trilogie de Nolan.
Véritable film d'acteur, Joker est doté d'une cohérence scénaristique ludique tant elle cite explicitement Scorsese ou la filmographie de Joaquin Phoenix. Cette approche quasi-farcesque de l'anti-héros le plus célèbre de la pop-culture atteint son point culminant lorsque Phillips calque sa mise en scène sur celle de ses mentors, notamment lorsqu'il cite La valse des pantins et Taxi driver. En optant pour la didactique plus que le métaphorique afin de susciter l'émotion, le réalisateur restitue l'ambiance des comics, en acceptant d'égréner des références aux anciennes visions du personnage et en apportant même une nouvelle contribution par instants. Profitant d'un acteur au sommet de sa forme, le film aboutit à une conclusion merveilleuse et sans concession : ancrée dans son temps, la parabole politique s'impose par son évidence et laisse le spectateur pantois, offrant enfin le divertissement de qualité qu'il mérite.
Alors, pourquoi ? Pourquoi ne pas avoir l'audace de proposer une oeuvre qui se suffise à elle-même puisqu'elle n'a de cesse de suggérer l'existence d'une suite ? En engageant Todd Phillips, dont la filmographie ne trouvait son égal que dans les rôles de Nicolas Cage chez Disney, et en proposant un tel spectacle, le film atteste qu'il était encore possible à Hollywood de satisfaire les différentes attentes de tout type de spectateurs en passant par la simplicité. Oui, l'équation est simple. Un excellent acteur porté par un scénario linéaire et dépouillé de mystère permettant la résurrection d'un personnage dont il n'est plus utile de vanter la célébrité, tout ça dans le but de construire un brûlot politique. Fluide, efficace, les adjectifs manquent pour vanter les mérites de cette parade violente et crue, sortant du commun et offrant un joli pied de nez à la multiplicité des produits périmés Marvel et consor. On peut dès lors questionner légitimement l'utilité de connecter ce portrait des plus aboutis à la mythologie d'un autre pilier de cet univers, Bruce Wayne. L'ombre de la warner semble malheureusement encore une fois obscurcir Gotham.
Si l'on connaît les conditions de tournage (Phoenix et Philipps retravaillaient entièrement des séquences du scénario original), il est difficile de ne pas passer pour d'abominables complotistes suggérant le rajout de l'homme chauve-souris en post-production, dans des séquences dignes des films de Joel Schumacher, allant à l'encontre de la vision globale du film. Les mêmes qui ont envoyé progressivement Zack snyder à Arkham substituent encore une fois une politique lucrative à un film qui prône tout du long l'inverse. Il est clairement dommage qu'une telle contradicton apparaisse alors que le discours, des plus justes, établissait une révolution à petite échelle dans la chronologie des grosses productions. Malheureusement, Joker ne fera pas office de transition et ne sera vraisemblablement qu'une étoile rayonnante dans le ciel ombragé des grosses productions, bientôt ensseveli par les suites de Wonder-woman et autres Shazam.
Il revient aussi au spectateur le droit de se remettre en question. La « hype », ce sentiment profond d'attente à l'idée que le film se poursuive ailleurs alors que son schéma actanciel est clôturé, ne doit pas avoir lieu d'être, surtout face à l'uniformisation de ce beau ballet. Les articles se démultiplient pour évoquer cette possibilité, déformant au possible les propos de Phoenix. Il faut dès lors prendre en compte la double-énonciation de la réplique finale du personnage « vous ne comprendrez pas », et profiter de cet étrange malaise qui se crée logiquement à la fin de la projection. L'empathie pour un tel personnage devient problématique dès lors qu'il s'agit d'un criminel ne pouvant échapper à cette voie à cause des failles d'un système allégorique de ce que propose le cinéma actuellement. Nous restons tout de même à l'échelle du blockbuster et l'explication est simple : De Niro et Thomas Wayne ont la main mise sur une ville où seul les puissants décident de ceux qui auront accès au projecteur. Le Joker devient logiquement la personnification du film d'auteur hollywoodien, luttant pour accéder à cette lumière si précieuse et répugnante, qu'il détruit froidement dès lors qu'il l'a conquise.
Dans Bacurau, la démarche des politiciens est la même en éradiquant jusqu'à un village entier d'une carte et le recours à la violence par les habitants est similaire, bien plus intense et profond que la trajectoire de Peck. Le manque d'exposition d'un film d'auteur aux allures de Western post-apocalyptique devient presque ironique dès lors qu'un autre film exposé et médiatisé sur l'ensemble des façades de toutes les métropoles du monde prend l'allure d'une réflexion amère sur notre temps dénonçant les tares et les limites de la politique mondiale actuelle, malheureusement rattrapé par ses producteurs, ses spectateurs et le mythe de la chauve-souris. Comme si, finalement, Frankenstein parvenait à reprendre le contrôle de sa créature. Le message est pourtant le même et assister à la génèse de productions rythmées et populaires prônant le renouveau et la créativité demeure jouissif. Reste désormais à espérer que ces forces vives relancent définitivement une industrie bien plus atteinte que ne l'est l'homme qui rit.

EmericL_avoane
7
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le 5 nov. 2019

Critique lue 196 fois

Emeric L'avoane

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