Le Joker est un personnage vraiment emblématique ; ce n'est peut-être qu'un jugement à l'emporte pièce mais il semble être un des rares méchants de comics à être connu de tous, profanes y compris. Il a cette image du fou, désopilant et en même temps dangereux, qui prépare des mauvais coups tout en y laissant une grande part d'aléatoire, d'imprévu. Un tel personnage, fascinant, hors norme (au sens strict du terme), exerce inévitablement un attrait. L'envie de connaître plus intimement ce personnage justifie que l'on fasse un film sur lui (toute fictive que soit cette personnalité, chose assez absurde quand on y pense... on désire rentrer dans l'intime d'un homme qui n'existe pas ! ), et légitime même la volonté d'en faire un film sortant du cadre classique de films de super héros, que l'on y prête une connotation péjorative ou non d'ailleurs.
On se retrouve donc avec un film, hollywoodien certes, aux atours de blockbuster certes, mais avec une touche de film d'auteur ou plutôt de film indépendant mais qui n'en est pas vraiment un (le genre de film qui a l'air indépendant mais qui est financé par un gros studio, lequel aurait laissé une infime part de liberté à son réalisateur, contrairement à un film de commande classique). Exit donc l'univers de super héros malgré quelques clins d'oeil ou rapprochements avec l'univers Batman, plus ou moins bons, mais plutôt logiques puisque quoiqu'on en dise le personnage s'inscrit dans une diégèse qu'il serait bizarre d'occulter.
Le film nous présente donc le personnage d'Arthur Fleck comme quelqu'un de mentalement dérangé, malade et sous cachet, quelqu'un de profondément triste, qui a "tout le temps des idées noires" mais qui veut paradoxalement faire rire et aime rire, jusqu'à idolâtrer un comique célèbre et l'idéaliser en père aimant et fier. Arthur cherche la figure paternelle, lui qui vit seul avec sa mère, dans cet animateur TV mais aussi dans la personne de Bruce Wayne dont lui parle sa mère. Il cherche le père, la petite amie, la reconnaissance d'inconnus qui riraient à ses blagues et l'applaudiraient.
Il cherche la reconnaissance, l'amour, comme tout le monde finalement ; il n'est pas hors norme, il cherche la même chose que tant d'autres, dans une perception biaisée du monde et finit par employer des moyens de désespéré pour parvenir à cela.
Il ne s'agit pas de cautionner, de valider une voie qui n'en est pas une (puisqu'il s'agit d'un mouvement inarrêtable d'une âme en perdition, psychologiquement atteinte), le film d'ailleurs s'en garde bien, et même s'il inscrit le cadre du film voire les actions du Joker dans un contexte social tendu qui dérive très vite (trop vite ?) vers l'anarchie ; l'intrigue reste centrée en permanence sur le parcours solitaire d'un individu, marginalisé par la société, par un environnement familial et par un état psychologique désastreux.
Ceci étant dit, Joker, s'il réussit à nous narrer une dérive violente (mais pas une chute puisque le personnage est dés le départ au plus bas) et intime, reste parfois en surface et n'ose pas aller plus loin dans la science du comportement ; il reste dans un cadre consensuel et relativement classique qui l'éloigne d'une vraie vision d'auteur.
Cette réserve reste mineure et peut-être trop abstraite mais c'est l'une des rares que je pourrais émettre quant à un film qui brille par ailleurs au niveau de sa réalisation avec des plans soignés, des lumières appropriées et surtout un jeu d'acteur éloquent.
La performance de Joachim Phoenix mérite les louanges qui lui ont été tressées, c'est indéniable.
Comme d'autres j'avais peur d'avoir déjà vu trop d'éléments importants dans les bandes annonces mais le film avait réservé quelques bonnes surprises, quelques petits retournements de situation bien amenés.
Joker est un film qui se place bien, entre le cinéma pop corn et le film d'auteur, il fait montre d'intelligence pour toucher un large public, séduit et inquiète, touche et fait rire. Un joli tour de force pour un film construit autour d'un personnage qui devrait (?) davantage diviser, inquiéter l'humain rationnel et rassuré par la norme.
Finalement voilà un personnage qui nous apparaît peut-être plus proche de nous que ce que l'on souhaite, plus identifiable qu'un justicier ?