Joker : Vers un nouveau traitement des personnages de comics ?

Joker est à n'en pas douter un ovni dans le genre film de super héros. Exit les explosions, les fusillades, les super pouvoirs. Joker est le portrait intimiste d'un homme qui bascule progressivement dans la folie. Todd Phillips (Very Bad Trip 1-2-3, War dogs) nous signe ici une pépite qui brille par le réalisme et la noirceur de son décor ainsi que le traitement à contre courant de son personnage principal.


Le reste de la critique contient quelques spoilers


Le cadre


L'univers de ce "Joker" est glaçant de réalisme : violences, pauvreté, tensions sociales... Tout est réuni pour faire de ce Gotham City des années 70 un lieu oppressant où aucun espoir de s'en sortir ne subsiste (décors fermés, lumières ternes accentuant cette sensation d'étouffement). C'est dans ce contexte qu'évolue Arthur Fleck. Un "inadapté" atteint de troubles mentaux qui vit avec sa mère dans un misérable appartement de Gotham City.


Choix du traitement


C'est là que le métrage prend à revers tout ce qui s'est fait ces dernières années. Todd Philipps nous montre une "origin story" où Arthur Fleck (interprété par Joaquin Phoenix) passe d'individu "normal" à tueur psychotique. Le personnage passe aux travers de multiples péripéties qui le pousse petit à petit au craquage mental : les agressions de rue, la malhonnêteté de ses collègues, la perte de son emploi, son incapacité à créer des liens sociaux, la réduction/suppression de ses aides sociales... Todd Philipps nous montre le Joker comme l'aboutissement de toute cette accumulation de malheurs et de violence (aussi bien morale que physique).


Le réalisateur fait un tour de force en montrant le déchaînement de violence du Joker sans pour autant le glorifier. Son Joker n'est pas présenté comme un anti-héros, à aucun moment ce qu'il fait n'est "cool", excusable, ou fait pour de bonnes raisons. C'est un vrai gentil qui devient un vrai méchant.


Ce parti pris de filmer la décadence totale de son personnage est une des forces du film. Là où Suicide Squad (2016) échouait à nous montrer l'horreur et la monstruosité d'une bande de super vilains. Le Joker de Todd Philipps est un personnage beaucoup moins consensuel. En tant que spectateur, on peut certes avoir de l'empathie pour le personnage vis à vis de tous ses malheurs sans pour autant cautionner le meurtre d’innocents. Cette ambiguïté est sublimée par un Joaquin Phoenix habité par son personnage. Amaigri, il arrive parfaitement à retranscrire le mal-être et la folie d'Arthur, notamment à travers son rire, qui a un sens contradictoire dans le film (il souffre d'un handicap qui provoque un rire nerveux à chaque fois qu'il est confronté à une forte charge émotionnelle) Progressivement ce rire, signe de fragilité, disparaîtra à mesure qu'Arthur descend l'escalier de la folie, pour laisser place à des pas de danse macabres traduisant son apparente sérénité face à sa propre démence.


Un propos politique pertinent


Le contexte politique a son importance au sein du métrage. Gotham est en pleine campagne électorale pour élire son prochain maire et les tensions sociales sont à leur comble. Les classes les plus modestes ne croient plus en leurs élus et se sentent méprisées par les classes supérieurs. C'est le Joker qui mettra malgré lui le feu aux poudres en assassinant le présentateur de son émission de divertissement favorite, Murray (interprété par Robert De Niro). Ce meurtre a pour effet de provoquer une révolte des habitants de Gotham qui sortiront dans la rue masqués en clown, vandalisant et saccageant tout sur leur passage. Ériger le Joker au statut de symbole de révolution en dérangera plus d'un mais il faut néanmoins noter que cette atmosphère résonne étrangement avec notre époque actuelle et notre contexte politique.


Le propos du film gagne en pertinence car en adéquation avec le quotidien des spectateurs.


Quelques points négatifs


Malgré beaucoup de points forts, cette interprétation du clown tueur laissera certains fans du comics sur leur faim. Bien que le film s'inscrivent clairement dans l'univers de l'homme chauve-souris (on retrouve Thomas Wayne en candidat à la mairie de Gotham, Bruce Wayne, Alfred Pennyworth, l'asile d'Arkham), certains regretteront que l'oeuvre de Todd Philipps prennent autant de libertés par rapport au matériau de base comme l'écart d'âge entre Bruce Wayne (enfant à ce moment) et Arthur Fleck (déjà dans sa quarantaine), le fait que le Joker pourrait potentiellement être le frère caché de Batman ou encore l'absence de la dimension "crime organisé", caractéristique clé du prince du crime de Gotham.


En conclusion


Hormis cela, il serait bête de bouder son plaisir. La réalisation est impeccable, Joaquin Phoenix est d'une incroyable justesse : à la fois touchant et effrayant il arriverait presque à nous faire douter de nos repères moraux. Le propos politique est plus que jamais d'actualité. Ces éléments font de Joker un film de divertissement grand public de grande qualité.


Il est assez incroyable qu'aujourd'hui un film comme celui-là, qui évoque une figure emblématique de la culture populaire, puisse sortir sans apparente encombre (pas de reshoot, pas de cahier des charge imposé par la production). La Warner a su faire confiance à son réalisateur et, au vu du succès du film, a eu raison de le faire.


À l'heure où la marvelisation standardise les films de super héros, l'émergence en salle d'un projet tel que ce Joker me redonne le sourire.

Choujin
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le 29 oct. 2019

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