La lutte des Anciens et des Nouveaux


Tout étant déjà dit à ce sujet, j'en rajoute encore un peu en gardant un maximum de neutralité.
Ce qui est impossible j'en convien


Projet casse-gueule par excellence, "Joker" devait non seulement parvenir à faire exister le prince du crime sans son éternelle Némésis ( Quid du Vrai cinéma, quid de Marvel ? ), ce qui semblait pour certains constituer une hérésie, permet à Joaquin Phoenix de s'approprier totalement ce personnage afin de s'affranchir de toute comparaison avec Jack Nicholson ou Ledger; d'un des plus grands méchants de la pop culture. Un film sur mesure pour lui donc.


Toute la complexité résidait dans le fait de lui apporter une facette inédite à laquelle les spectateurs ne soient pas réfractaires, sans compter les problématiques liées à la Warner, aux réactions démesurées à l'encontre d'a peu prêt tout , ou ne serait-ce que d'imaginer que l'histoire puisse être similaire mais en différent, sans blague.


Très sincèrement, il est clair que Todd Phillips a eu carte blanche pour ce long-métrage atypique qui divise fortement. Pas pour la radicalité de son propos, son côté violent, malsain et subversif à souhait. Oui mais les gars, c'est pas un banlieusard sous zolpidem, c'est le Joker!


Au niveau de l'image , les gros plans très près des visages, dégagent une atmosphère anxiogène extrêmement représentative du mal-être d'Arthur Fleck, mais également de celui qui ronge insidieusement la ville de Gotham, le tout appuyé par un rythme excessivement lent, pesant.


Une grande majorité des séquences se déroulent en intérieurs, ce qui a participé à cette désagréable sensation de cloisonnement que certains regrettent, mais avoir, tout comme ce parti pris de jouer avec la focale pour qu'il y ait un flou presque constant à l'écran, même durant des inserts sur de petits éléments, comme une main montre une certaine maîtrise du réalisateur (et ce n'était pas écrit d'avance)


Les scènes extérieures sont vraiment rassurantes : vols, meurtres et volupté avec un travail sur le son pour restituer le mal être sociétal, bruyant, parlant toujours trop fort pour redire qu'elle n'a rien à dire mais et c'est cette même foule qui ne prête aucune attention à cet homme qui tente désespérément se faire remarquer. Mais ça c'était avant son chemin de croix.


La passion du christ


Il n y a pas de soleil dans ce film. Parfois à 'horizon, quelques bâtiments grisâtres filmés en contre-plongée ressemblent au jour. Mais pas de vrai soleil au zénith sauf en plein milieu du film où il redescend ces fameuses marches (qui ont beaucoup de succès désormais).Tout un symbole. Le soleil lui est quasiment toujours non naturel.


Quid du traitement me direz vous ? Usant d'un filtre afin que les couleurs soient ternies, le rendu est proche de ce l'on pouvait observer durant certains films des années 70-80 (époque où se déroulent les évènements), tout en mettant l'accent sur des tonalités verdâtres et jaunâtres propres au teint blafard d'un homme malade, physiquement et mentalement.


Très belle photographie signée Lawrence Sher dont c'est la sixième collaboration avec Todd Phillips depuis "Very Bad Trip",(oui ce n'était pas écrit) parvenant à saisir l'essence d'un être torturé en pleine mutation.


DANSE AVEC LES TSARS


La séquence de danse dans les toilettes frôle l'onirisme morbide qui fascine, montrant un papillon noir qui sort de sa chrysalide, déployant ses ailes avant de prendre son envol.
Quand on sait qu'elle fut improvisée par Joaquin Phoenix, le résultat est d'autant plus fascinant !


Ce n'était pas une mince affaire que de raconter les origines du Joker sans le démystifier, mais aussi de trouver un antagoniste suffisamment crédible qui puisse justifier cette ascension inéluctable vers la folie absolue.
Quoi de mieux que de partir sur un homme mal dans sa peau, fragilisé, moqué et rejeté par la société, quelqu'un pour qui on puisse avoir de l'empathie, mais dont la perception du monde le rende insaisissable, l'histoire jonglant constamment entre ce qui est vrai et fantasmé, donnant lieu à une multitude d'interprétations de ce qui nous est présenté.
Faire que la population de Gotham soit le pourquoi de cette transformation est à mon sens une idée de génie, surtout au vu de notre société où la révolte gronde, suscitant une haine vindicative envers les riches, les médias, le gouvernement et n'oublions pas, les journalistes.


Un sous-texte pertinent qui vient bousculer les productions aseptisées du moment, tel un pavé dans la mare. Si l'on peut y voir du manichéisme, il faut remettre les choses dans leur contexte, l'intrigue étant le point de vue d'un homme dont nous ne voudrions partager les maux, non le nôtre, ce qui justifie également le traitement de personnages connus de l'univers dont il est issu qu'il sera amené à rencontrer, loin des canons auxquels certains d'entre nous ont été habitués.
Le pari était aussi que l'empathie que l'on puisse éprouver envers Arthur ne le rende pas moins dangereux et imprévisible, succombant à une violence assez inouïe (surtout pour un long-métrage hollywoodien) qui le fera basculer définitivement du côté obscur, et de n'offrir aucun autre intérêt que de voir le Joker prendre le contrôle absolu de son hôte.


LE VANDALISME EN PUISSANCE


Mais c'est aussi une des grandes forces du long-métrage de Todd Phillips, co-scénariste avec Scott Silver, qui offre ici une relecture audacieuse de la naissance de l'incarnation même d'une idée, le nihilisme. Car si bon nombre de références faites aux comics sont particulièrement subtiles, d'autres seront dénoncées comme du fan service trop prononcé, bien que tout participe à la mythologie de Mr. J et de sa haine envers la famille Wayne.


Comme la plupart des très grands films, "Joker" possède une bande orchestrale juste somptueuse qui restitue toute l'émotion du personnage complexe à définir, constamment à vif et qui tente de se contenir. Hildur Guðnadóttir, ( Un code Wifi facile à retenir) violoncelliste qui à fait un travail exemplaire sur la série "Tchernobyl", livre ici des compositions moins anarchiques que le fameux thème strident créé par Hans Zimmer sur "The Dark Knight".
Si elle use du même instrument, l'approche est plus contenue avec des notes mélancoliques où se mêlent des sonorités qui traduisent notamment une montée en puissance d'un mal inéluctable. Souvenez vous des escaliers! Tout est là !


JOAQUIM EST PHOENIX


Joaquin Phoenix me paraissait déjà être un choix évident lors de l'annonce de sa participation au film de Todd Phillips, et je ne peux que saluer sa performance, allant jusqu'à perdre près de trente kilos pour un résultat des plus dérangeant, donnant vie à un pantin difforme et désarticulé.
Le regard, les mimiques, la démarche, le rire, la façon qu'il a de courir. Tout y est.
Son jeu évolue constamment pour s'adapter à l'évolution d'un personnage que je ne suis pas prêt d'oublier. Quant à son capacité d'être un immense comédien, était-ce encore à prouver ?
Assurément non.
Si le Joker trouve en Arthur Fleck une nouvelle identité, Phoenix nous fait grâce d'une prestation qui fera date, au même titre que ses illustres prédécesseurs.Au-delà de l'écran Qui aurait pu s'attendre à un tel impact ?


Tout le monde. Et tout le monde à son mot à dire, et tant mieux.Je suis très reconnaissante à Philips d'avoir eu le courage de ne pas trop baliser le film, pour maintenir ce mystère si rare au cinéma américain. En conclusion, il y aura très certainement un avant et un après "Joker".
Ce n'est peut-être pas l'œuvre dont tout le monde rêvait, mais celle dont l'industrie cinématographique hollywoodienne et du monde révolté avait besoin.

SOFTWALKER
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le 16 nov. 2019

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