A vrai dire, je ne l’avais pas vu venir celui-ci. Les adaptations DC sont en naufrage depuis longtemps, enchaînant grosses daubes et grosses déceptions. Todd Phillips était jusqu’à présent un faiseur connu pour Very Bad Trip, comédie sympa mais simplette. Il paraissait compliqué d’incarner correctement le Joker après la prestation parfaite de Heath Ledger. Le petit coin de ciel bleu qui suscitait l’espoir était Joaquin Phoenix, interprète toujours inspiré. En effet. L’histoire est celle d’un pauvre gars, clown salarié qui vit chez sa mère et qui souffre d’un trouble qui le pousse à rire au plus mauvais moment. Vie de misère dans une société d’inégalités. Un soir, tout va basculer quand il va se défendre contre une énième agression dans le métro. Son geste, pur réflexe, va devenir un acte politique aux yeux d’une population qui n’attend qu’un déclencheur pour foutre le feu. Le truc qui fascine, c’est avant tout le personnage. On assiste à une réécriture du Joker bluffante. Exit le psychopathe mégalomaniaque, on tient là un être brisé qui n’a rien à perdre et qui assiste aux conséquences de ses actes tel un spectateur. Si tout ça tient, c’est aussi en grande partie grâce à Phoenix, squelette effacé qui se secoue le paquet d’os d’un rire triste et douloureux. La réalisation sobre et réaliste joue pour beaucoup également. Loin d’un univers de super héros, Phillips nous présente dans des couleurs ternes (par contraste au costume du clown) une société sur le point de craquer. Un gruau d’indifférence face au malheur de son prochain. Et cette chronique sociale tourne soudain au brûlot punk nihiliste. Doigt d’honneur aux prescripteurs d’opinions et aux éditorialistes valets du pouvoir des 1 %. Le film finit sur une déflagration à laquelle on ne s’attendait pas. Ultime tour de passe-passe du capitalisme dont Hollywood est l’image, il nous vend une révolte rageuse, il nous vend le fantasme de sa propre perte. Troublant et mordant comme comme le serpent qui choppe sa queue. A voir assurément.