En 1939, il n'y a pas eu que la deuxième guerre mondiale, pas plus que le 11 septembre ne raconte que les attentats du World Trade Center. Il y a aussi eu la fin de la Guerre d'Espagne, et l'exil de milliers de combattants républicains, engagés dans la lutte contre le fascisme. Ça aurait dû parler aux Français, la lutte contre le fascisme, au moment où le nazisme faisait tache d'huile de l'autre côté de la frontière. Mais la France était munichoise, et surtout bien en peine d'accueillir décemment le flot de réfugiés. Autant dire que cet épisode lamentable, qui a vu le pays des droits de l'homme bafouer une fois de plus ses idéaux, à la grande satisfaction d'une foule de médiocres tout occupés à préserver leurs propres intérêts, ne trouve pas sa place dans le grand roman national ronflant dont on nous rebat les oreilles. Quel lycéen d'aujourd'hui répondrait par l'affirmative si on lui demandait s'il y a eu des camps de concentration en France ? Pas ceux que j'ai testés, en tout cas... c'est toujours une surprise pour eux et une source d'exaspération pour moi. Autant dire que ce film qui relate la détention inique de républicains espagnols rongés par la vermine et la faim sur une plage française, dans le froid et l'humidité, sous la surveillance de gardiens hargneux, est essentiel; inutile de dire pourquoi, l'actualité et les micro-trottoirs désolants de notre époque sont suffisamment éloquents. Un artiste catalan engagé pour défendre la République se retrouve en butte aux brimades imposées par la République voisine, pendant des semaines et des mois. Le sujet a déjà été traité dans quelques ouvrages, y compris des bandes dessinées, mais l'identité de ce prisonnier-là fait toute la différence : c'est Josep Bartoli, dont le trait acéré a su saisir toute l'abomination de l'insensibilité de ses geôliers. Ses dessins nourrissent la narration d'une façon poignante. D'ailleurs, le dessin est au centre de cette histoire qui se finit de nos jours à New York, en compagnie du petit-fils de l'un des gardiens du camp de Rivesaltes. Lui aussi dessine et donc témoigne de la réalité de son époque. Autant dire qu'en tant qu'urban sketcher, je n'ai pu que résonner fortement avec ces petites lubies graphiques. Oui, le dessin peut-être une façon de préserver l'humanité dans des circonstances qui la mettent à mal, et Josep en est une démonstration magistrale et émouvante. Le film fait œuvre morale grâce à une histoire édifiante et à son écrin lumineux, porté par un dessin plein de grâce et une musique qui va droit au cœur. Une narration à la hauteur de Si c'est un homme, à mon avis, et rien de moins.