Le village en pause pour faire la fête

Quand on pense au cinéma de Jacques Tati, on pense à monsieur Hulot, ce personnage qu’on a vu dans son second film « Les Vacances de monsieur Hulot » (1953) qu’il ne va plus jamais quitter par la suite. Avec le personnage de Hulot, des films comme « Les Vacances de monsieur Hulot » ou encore « mon oncle » (1958), ont acquit dans le monde, une véritable popularité, et une importance pour beaucoup de grands cinéastes comme David Lynch, mais avant Hulot, Tati a crée un autre personnage. Ce personnage, c’est François, qu’il avait créé et incarné pour son court-métrage : « L’école des facteurs (1947). Le court-métrage a eu un certain succès que Tati décide de faire revenir François pour son premier film : « Jour de fête » (1949)


Chez Tati, il y a jamais un hasard de faire un film, il le fait pour une raison bien précise. Quand il fait un long-métrage, c’est pour délivrer un message et une critique bien précise de la société. La caractéristique de Jacques Tati, c’est d’être toujours en avance sur son temps ce qui rend ses films toujours très d’actualité, permettant aux spectateurs de voir notre société et d’en faire une critique. Quand on parle de sa filmographie, il ne faut jamais oublier le contexte quand il a fait ses différents films.


Jour de fête est un film sortie en 1949, nous sommes dans les années post-seconde guerre mondiale. La Seconde Guerre mondiale étant assez difficile, il y a cette envie pour le cinéaste français de tourner la page. On sent chez Jacques Tati, un humain qui en a marre des mauvaises nouvelles, de voir qu’on repense toujours à cette guerre et le fait qu’on compte encore les dégâts. Parfois, il faut faire une pause, afin qu’on profite de la vie. Pour cela, il va utiliser la métaphore du village qui fait une pause sur sa vie quotidienne avec l’arrivé des forains synonymes de fête.


Le scénario du film était pensé pour un film en couleur. Les villageois étaient habillés en noir et blanc, pour que la couleur soit représentée par les forains qui avec leurs différents outils amènent la fête. Malheureusement, Tati n’a pas pu obtenir de copies en couleurs. Ayant aussi filmé avec une caméra pour le noir et blanc, le film fut dans ce format pour la version originale. On le verra avec beaucoup de ses films, Tati ne se satisfait jamais de sa première version cinéma, il va toujours chercher à rajouter des éléments, à toujours perfectionner son film. C’est le cas pour sa deuxième version en 1964 incluant de nouveaux plans avec la présence d’un peintre qui va pouvoir ramener quelques plans en couleurs. Dans cette version il y aussi une nouvelle bande-son réenregistrée afin qu’elle soit plus dynamique. La troisième version, étant celle qui rendra vraiment hommage à ce que voulait faire Jacques Tati. Restaurée en 1995, la fille de Jacques Tati : Sophie Tatischeff a remonté le film afin qu’il soit en couleur. Pour les plans n’ayant pas était tournés en couleurs, ils ont été colorisés afin que ce soit cohérent dans l’ensemble. Au niveau de la bande son, Sophie Tatischeff reprend celle de la version de base, histoire de rendre hommage à la volonté première de son père.


Le choix du village n’est pas anodin, en 1943, Jacques Tati s’est réfugié dans un village à proximité Sainte-Sévère-sur-Indre. Il restera quelques mois dans cet endroit, mais Tati fut marqué par un endroit harmonieux en temps de guerre. Un endroit parfait pour accueillir le tournage de « jour de fête ». On sent qu’il connaît assez bien cet endroit. on retrouve ainsi, tout ce qui fait la caractéristique d’un village avec l’église, le boucher, le petit café ou encore le boulanger.


Si Tati a fait de François le personnage principal de son premier film, c’est pour parler du rapport très important entre le facteur et les villageois. Dans un petit village, comme on le voit dans le film, le facteur est très important par sa popularité. Généralement, dans un village, on connaît le maire, mais on connaît aussi le facteur parce qu’il vient nous apporter de bonnes (ou parfois de mauvaises) par l’intermédiaire des lettres qu’il va livrer, il discute avec nous, parfois comme on le voit dans le film, il participe à la vie active du village, à toujours nous rendre service. Avec tout ce qu’il fait, il créer le lien entre le monde extérieur et le village. C’est aussi un lien entre les différents villageois, comme la scène ou il va livrer un gâteau pour rendre service.


Tati va même rendre son personnage attachant avec des gags visuels nous faisant penser au cinéma muet de Charlie Chaplin et Buster Keaton. François à beau être quelqu’un de très appréciable et toujours prêt à rendre service. Quand il s’agit de faire son travail, c’est plus compliqué. On pense beaucoup à cet animal qui mange le télégramme que François devait livrer. Les gags ne manquent pas, permettant de voir le génie comique de Tati dans la mise en scène. Le gag terminera toujours une séquence permettant à Tati d’enchaîner avec une autre séquence. Ainsi, le film sera toujours rythmé, ce qui nous fera énormément penser au cinéma muet. Le cinéma muet étant une grande source d’inspiration pour Tati quand il a fait ses deux premiers films. C’est moins le cas dans « jour de fête », mais dans « les vacances de monsieur Hulot », on a cette impression de voir un personnage s’étant échappé d’un film de Buster Keaton qui doit s’adapter dans un nouveau monde.


Chaque film de Tati adresse une critique de l’évolution de la société, ce qui démontre un réalisateur ayant un œil assez juste, quand on voit comment est la société telle qu’on la connaît. Il va créer cette rivalité entre facteurs américains et français afin de nous dire que le modèle américain très capitaliste, pensant surtout au chiffre et à la surproduction. En adoptant ce modèle François va gagner de l’efficacité dans son travail, car il restera concentré sur sa tâche de base, mais il n’y aura plus aucun rapport humain entre le facteur et les villageois. Après avoir vu le film, on peut dire que le facteur est le moteur d’un village et si on enlève ce côté humain du facteur, on a un village moins chaleureux, moins accueillant.


C’est avec un énième gag que l’action va se calmer. Comme la personne âgée qui va recueillir François tout mouillé, on va se demander si cela valait vraiment le coup et s’il ne faut pas laisser le temps faire les choses. C’est sur une dernière séquence qu’on voit un grand talent dans l’enchaînement des scènes chez Tati. Au même moment ou François tombe à l’eau et se fait ramener, la caméra se calme permettant ainsi de profiter de la nature. Au même moment, la fête se termine ce qui explique une caméra à une allure normale expliquant que la parenthèse est terminée et qu’on peut retourner à notre quotidien.


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le 20 oct. 2020

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