Une tranche de bûche et d'humanité pour la tranchée.

              Après vous avoir laissé quitter la table des festivités. Après avoir avalé, engloutis crustacés, volailles, gourmandises et avoir repris une bonne tranche d'esprit de Noël consommable et digérable à merci. Il est de mon devoir, comme chaque semaine maintenant, de vous parler de cinéma. Cette semaine, on va faire dans la légèreté. La même légèreté que celle du pléthorique plateau de fromage qui vous attendait. En effet, aujourd'hui, jour de Noël, nous allons parler de « Joyeux Noël ». Si le titre évoque un film dans lequel une famille va vivre une accumulation de qui pro quo autour d'une dinde baignant dans le jus dont la surface se fige, il est en réalité question de Noël 1914 sur le front.

Ce deuxième film, signé par Chiristian Carion, est, on peut le dire, une petite réussite. Après avoir expérimenté la confrontation de la tradition et de la modernité dans « Une hirondelle a fait le printemps » en 2001 avec Michel Serrault et Mathilde Seigner. Dans cette nouvelle réalisation dont le projet germait dans sa tête depuis plus de 10 ans, « Kiki Carion » nous plonge dans un épisode, à l'époque encore mal connu, que furent les fraternisations entre les différents camps sur le front durant Noël 1914.
Comment raconter ce film ? Nous sommes dans les tranchées, dans le Nord de la France. Noël approche et ceux qui étaient partis fleur au fusil, pensant en avoir terminé avec cette guerre pour la Noël, se rendent bien compte que le conflit s'enlise, et s'impatientent à l'idée de rentrer chez eux retrouver leurs familles plutôt que de continuer à observer l'horreur de cette boue mêlée de sang.
L'histoire se penche sur quelques destins, un dans chaque camp: l'histoire d'un couple de chanteurs d'opéra que la guerre est venue séparer. Anna Sorensen (Diane Kruger), fera tout en interférant pour faire revenir son aimé, engagé comme simple soldat.
Le lieutenant Audebert (Guillaume Canet) dont la femme attend un enfant et aucune nouvelle ne lui vient de l'arrière.
Enfin, un pasteur anglican devenu brancardier et qui voit les jeunes du pays se faire abattre les uns après les autres.
La nuit de Noël, les différents camps signent une trêve, boivent du champagne, chantent ensemble et le lendemain jouent au football. Un moment heureux dans cette broyeuse au canon de 75 mm. Difficile alors de se replanter une baïonnette dans le ventre comme si de rien n'était.


La force principale de ce film est de ne pas prendre partie contre les méchants Allemands. Au contraire, ceux qui sont pointés du doigt, c'est l'institution militaire d'une part et bien plus encore ceux qui véhiculent la haine de l'autre en l'occurrence l'Etat. Le film s'ouvre sur des écoliers a qui l'on a, depuis 1870, appris à détester l'autre. Ce que le film nous apprend, c'est que l'autre n'est rien moins qu'une construction par l'histoire, le langage, etc. Mais ce qui rapproche les soldats dans cette nuit de Noël, c'est la culture (musique, culture religieuse, football) et le sentiment profond de ne pas être là où ils devraient être et que finalement celui de la tranchée d'en face n'est pas si différent, même si le réalisateur réussit à nous faire comprendre que le message belliciste tant rabâché est encore bien présent dans les têtes. Ce film résume très bien la phrase de Paul Valéry : « La guerre, un massacre de gens qui ne se connaissent pas au profit de gens qui se connaissent, mais qui ne se massacrent pas »
L'autre ambition du film est aussi, je pense, de nous faire ressentir cet isolement du front. Il n'y a pas ou peu de moments où l'on quitte la tranchée. Seulement, quand l'Empereur Allemand s'installe dans le château occupé par Michel Serrault et Suzanne Flon, interprétant un couple de vieux châtelains farouchement anti-fridolins qui subissent les aléas de la guerre, mais qui seront aussi touchés par la grâce des deux voix des chanteurs mariés pour ce concert privé en l'honneur du Kaïser.
Mais pour tout le reste du film, nous sommes dans la tranchée avec des hommes dont nous ne connaissons pas les noms pour la plupart d'entre eux. Ils sont tous une part d'un soldat inconnu, et plus encore d'un soldat oublié. Eux, l'oubli, ils le vivent au quotidien. La censure rectifie leurs lettres. Puis, on oubli le visage de sa femme. On essai, par les horloges, de reconstituer le « temps d'avant ». On oubli son humanité, on tire, on tue, on se fait tuer.


Ce film, à l'histoire d'amour un peu tartignole au fond, s'en sort très bien. Il serait l'illustration cinématographique enfantée de l'oeuvre littéraire réaliste de « Ceux de 14 » de Maurice Genevoix et du discours souvent Pacifiste du « feu » d'Henri Barbusse.
Alors, pour cette réflexion sur ce que peut-être une humanité qui se parle et qui peut se comprendre, je pense qu'un 7-7,5/10 n'est pas volé !


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Sarrus-Jr
7
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le 26 déc. 2019

Critique lue 365 fois

Sarrus Jr.

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