Difficile de ne pas comparer ce « Jules César », adapté de Shakespeare, au fameux « Cléopâtre » du même réalisateur : ils sont comme les deux faces d’une même pièce. Le premier en noir et blanc, sobre, statique, le second en couleur, démesuré, chatoyant. Et je dois dire que c’est le second qui m’a le plus marqué. « Jules César », donc, est un modèle d’épure, mais à tel point qu’on frise l’ennui. Dans des décors ascétiques qui font très artificiel, les acteurs déclament leur texte, raides comme des piquets, sur un ton théâtral, et l’action est on ne peut plus distillée au compte-gouttes. En fait, il ne se passe rien à l’écran – si l’on peut dire – car l’action est hors champ. On ne sait rien des combats qui se trament dans l’arène, on observe les conspirateurs chuchoter dans les couloirs de l’amphithéâtre. On ne voit rien de l’ultime bataille, seulement les soldats meurtris à la fin, sur un champ de bataille dévasté. La seule scène d’action du film, et c’est peut-être là sa force, est celle que l’on attend dès le début, en la redoutant : l’assassinat de César. Et je dois dire qu’on atteint là un sommet de dramaturgie. A la différence de la série « Rome » complètement boursoufflée et vide à la fois, l’action, quand elle est représentée, est un modèle de suggestion et de retenue. Pas de César qui convulse de manière ridicule, un filet de bave à la bouche, sous les coups de couteaux des sénateurs. Mais quelque chose qui fait bien plus mal qu’une lame : la trahison d’un Brutus bien plus complexe que dans « Rome », encore une fois. Tout se joue dans un jeu de regard et des mots échangés. Voilà l’un des grands moments de ce film. L’autre morceau de bravoure revient à Marlon Brando, sous les traits d’un Marc-Antoine fiévreux : son discours à la population, en mémoire de César, est extraordinaire. Une fois de plus Brando crève l’écran, et sa déclamation vengeresse reste inoubliable. Dommage que tout le long métrage ne soit pas de cet acabit… Pour autant je préfère mille fois un tel film qu’une série comme « Rome » : comme quoi il n’y a pas besoin de faire étalage de sexe et de violence pour dépeindre une époque trouble, et plus encore pour maintenir le spectateur intéressé. Je peux dire que j’ai été plus impressionné par le Marc-Antoine de ce « Jules César » que par toute la saison 1 de « Rome ». Les Américains ont oublié leur passé cinématographique glorieux et préfèrent se complaire dans la médiocrité… C’est bien dommage. Pour l’heure, j’invite tous les amateurs d’histoire antique à se jeter sur ce long métrage. Il faut certes s’armer de patience pour en venir à bout, mais votre attente sera récompensée.


Critique à retrouver sur mon blog ici.

ArthurDebussy
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les meilleurs péplums, Les meilleures adaptations de pièces de théâtre au cinéma, 200 films et Les meilleurs films de Joseph L. Mankiewicz

Créée

le 23 avr. 2017

Critique lue 567 fois

6 j'aime

Arthur Debussy

Écrit par

Critique lue 567 fois

6

D'autres avis sur Jules César

Jules César
Alexis_Bourdesien
9

Petite leçon de cuisine cinématographique par tonton Manki

Réalisateurs en panne d’inspiration ? Ne cherchez plus, arrêtez de ruminer dans votre coin, et venez apprendre la méthode Mankiewicz tout en douceur. La recette est simple : une histoire puissante et...

le 15 oct. 2014

42 j'aime

20

Jules César
drélium
8

"Un lâche meurt souvent avant de mourir, un brave ne goûte à la mort qu'une fois"

Une chose est sûre, on en fait plus des comme ça. Comment imaginer un tel flot de dialogues aujourd'hui, comment surtout imaginer des protagonistes se parlant longuement à eux-même, seuls et à voix...

le 8 janv. 2011

32 j'aime

7

Jules César
Docteur_Jivago
9

Friends, Romans, and countrymen

Avec Jules César, Joseph L. Mankiewicz signe sa douzième réalisation et il n'a déjà plus grand-chose à prouver après avoir obtenu divers succès et oscars majeurs (mise en scène, scénario et film),...

le 16 déc. 2016

24 j'aime

8

Du même critique

Mary et la Fleur de la sorcière
ArthurDebussy
4

« Kiki à l'Ecole des Sorciers »

Manifestement, il ne suffit pas de reprendre l'esthétique d'un maître pour l'égaler. C'est ce que les suiveurs et autres académistes apprennent à leurs dépens depuis la nuit des temps en matière...

le 24 févr. 2018

58 j'aime

12

Princesse Mononoké
ArthurDebussy
10

Le passage d'un monde à un autre

« Princesse Mononoké » couronne la carrière d'Hayao Miyazaki par bien des aspects. Peut-être son film le plus riche et le plus complexe, c'est également l'un des plus accomplis formellement,...

le 13 août 2016

36 j'aime

10

Il était une fois dans l'Ouest
ArthurDebussy
9

Western épique et lyrique

Vu une première fois, trop jeune, il y a longtemps, j'étais complètement passé à côté de ce film. Je m'étais dit « tout ça pour ça » ?! Je ne comprenais pas le concert de louanges qui entourait ce...

le 19 août 2020

32 j'aime

20