J'aimerais aimer Jules et Jim. Je l'aime un peu, cela dit, et c'est déjà pas mal. Même s'il s'agit officiellement de l'adaptation du roman d'Henri-Pierre Roché, le troisième long de Truffaut est un projet éminemment personnel. François a trouvé en Roché un alter ego aussi amoureux que lui des Femmes avec un grand F. Quant à la Catherine du livre, elle rappelle étrangement cette mère que Truffaut a pourtant réprouvée, trois ans plus tôt, de la bouche d'Antoine Doisnel. Une femme pour laquelle l'amour ne peut que s'insérer dans une conception de la vie libre, totale, incandescente.
Trois ans après avoir célébré la mort cinématographique de sa génitrice, la voilà qui ressuscite donc peu ou prou, sous les traits d'une Jeanne Moreau iconique et à peu de choses près parfaite dans ce rôle de femme-enfant qui cache son jeu pour mieux le mener. Capricieuse et ravageuse, Catherine fait à elle seule chavirer une franche amitié masculine que même la guerre n'avait pu bousculer. Avec Jules et Jim, ce sera tout ou rien, et les deux malheureux n'en ressortiront pas indemnes.
Tiens, nos deux zigotos, parlons-en un peu, parce qu'elle est bien belle Jeanne Moreau, mais le plus touchant dans l'histoire c'est bien cette relation singulière et franche entre un Don Juan / Don Quichotte parisien (le débutant Henri Serre, qui récite son texte platement, et qui est donc juste catastrophique) et un Autrichien plus posé et docile (Oskar Werner, qui arrive à amener beaucoup d'humanité et de générosité à son personnage malgré la barrière de la langue). Il y a entre eux une bienveillance mutuelle, une sincérité de chaque instant, la possibilité d'un refuge aux désillusions de l'amour. Quoi de plus désarmant qu'un homme qui accepte les sentiments de son ami envers sa propre femme car il se refuse à l'imaginer loin de lui ?
Et tout cela aurait pu donner un grand film si Truffaut n'avait pas été cruellement rattrapé par sa fougue, par son coup de coeur immédiat pour l'oeuvre de Roché. Trop, beaucoup trop respectueux du style concis de l'auteur, il mène son film avec le nez collé au livre, si bien que Jules et Jim en devient littéraire, voire littéral. Une voix off très présente, on en rencontre souvent, sauf que ça devient gênant quand la voix en question transpire la monotonie et le vif empressement de l'acteur sous-payé qui doit faire vite parce qu'après l'enregistrement il a judo et qu'il doit passer chercher son kimono à la laverie. "Ben t'as qu'à supprimer les virgules, ducon !" Dont acte.
Et au-delà des dialogues souvent eux aussi déclamés au mot près par le reste du casting, c'est surtout la teneur de ces dialogues qui dégage aujourd'hui une tonalité très désuette, et tend à faire passer la complexité des sentiments amoureux entre Catherine et Jim pour des babillages sortis d'un nanar turc. Difficile d'écraser un petit fou rire lors de la scène du flingue par exemple (ne vous mentez pas, ou alors vous n'êtes pas humain).
Comme ci, comme ça, donc, sans parler de quelques bizarreries en termes de rythme et de montage. J'ai quand même eu envie de monter la note à 6 en repensant à Jeanne Moreau fredonnant le "Tourbillon" de la vie...