A mes yeux, Juno n'est pas tant un film sur la grossesse non-désirée d'une adolescente (notion mise de côté) qu'un film sur une adolescente en elle-même. Car Juno ne représente qu'une minorité des adolescents en fait -à la manière de Daria ou d'Enid de Ghost World-, elle est différente et c'est tout ce qui fait son charme. Le film tient donc presque entièrement à son personnage, petit univers à elle-seul, interprété par une Ellen Page merveilleuse dont ce rôle a fait la renommée, et on comprend pourquoi. Juno est certainement l'un des personnages les plus intéressants de ces dernières années, ou en tout cas l'un des plus attachants.


Elle n'a pas la langue dans sa poche et sait se montrer grande-gueule, défend ses idées (un tantinet féministes) avec un humour aiguisé qui semble lui permettre de survivre dans ce monde de brutes : si Juno s'en sort, c'est parce qu'elle est d'un naturel optimiste et qu'elle sait rire de tout, s'efforce de toujours voir le bon côté des choses. Elle a le mérite d'être joviale et joyeuse, enthousiaste et de savoir prendre du recul sur les choses avec beaucoup de forces d'esprit et un moral qui résiste à toute épreuve. Tout le monde semble s'amouracher de sa frimousse innocente et de ses frasques mordantes et hilarantes. C'est une véritable pile électrique, infatigable et légèrement sur-excitée qui ne s'arrête jamais de parler, de débiter à toute allure tout ce qui lui passe par la tête. C'est une adolescente atypique, certes un peu marginal, car déjà indépendante de l'avis général et des conformités sociales, mais capable de s'adapter à toute sortes de situations, ouverte, tolérante, généreuse, intelligente et bien dans ses converses délavées. Juno est un peu le porte-drapeau d'une certaine adolescence girl-power qu'on désigne généralement comme étrange et paumée, fan de Iggy Pop, des Runaways et de Dario Argento, obligée de ménager son ennui dans une bourgade tranquille des Etats-Unis où il n'y a pas grand chose à faire si ce n'est voir ses potes, monter un groupe ou bien sûr, coucher avec son gentil meilleur ami sur un coup de tête au lieu de se poser tranquillement devant Le Projet Blair-Witch...


Juno/Ellen Page, ce petit bout de femme libérée, est a elle seule une raison de visionner le film, qu'elle porte sur ses épaules tout du long -même si on notera des seconds rôles marquants- et ce pour son esprit et son humour cynique à souhait, toujours franc et souvent référencé, s'exprimant de tout son art dans des répliques bien senties dont chaque apparition auditive est un pur régal qu'on se délecterait presque de se repasser juste pour le plaisir ("You know, they pretty much just put them (the babies) in those t-shirt guns and shoot them out at sporting events", "-That's a wise choice because I knew this girl who like had this crazy freak out because she took too many behavioral meds at once and she like ripped off her clothes, and dove into the fountain at Ridgedale Mall and was like, 'Blah! I am a Kracken from the sea!' -I heard that was you." ou encore "Don't forget to pay for that peestick. It's not yours because you marked it with your urine !").


Car même si les répliques sont en partie hilarantes et à visée comique, les plus sérieuses d'entre elles semblent tout droit provenir de la voix de sagesse tant elles sont empreintes d'une réelle authenticité et d'une véritable réflexion sur l'existence, l'avenir ou l'amour, les choix qu'on fait et pourquoi les fait-on on encore l'intérêt de faire ce à quoi on aspire. Chaque fois que Juno, du haut de ses 16 ans, ouvre la bouche, on a la stimulante sensation d'en apprendre quelque chose, humainement parlant.


Et si Juno a pour fond l'histoire d'une adolescente qui tombe malencontreusement enceinte, ceci n'est qu'un prétexte pour poser un regard objectif et original sur l'adolescence (et l'adulescence, même), de manière à ce qu'on y fasse finalement pas si attention que ça. Ensuite, d'après ce que j'ai pu lire à plusieurs reprises, certains accusent le film de donner un avis négatif sur l'avortement du fait que le personnage décide au dernier moment de donner l'enfant à un couple de parents adoptifs. A mon sens, ni Jason Reitman ni Diablo Cody n'ont volontairement pris parti sur la question. Juno n'est en rien une propagande anti-avortement mais juste un témoin d'une situation plausible et réaliste que les gens ont tout de suite désigné comme réactionnaire et facteur d'un message désapprobateur ayant pour but de donner une moral aux jeunes filles qui pourraient éventuellement se retrouver dans la même situation. Je ne suis pas d'accord. Le personnage décide certes de ne pas avorter -de plus non pas par principe ou par engagement politique, mais plutôt par peur et par incertitude- mais cela ne signifie pas pour autant que le film se veut moralisateur et donneur de leçon. Aussi, ce n'est pas parce qu'on ne souhaite pas avorter (vient un temps où l'on se pose la question) que l'on s'y oppose, c'est un choix personnel, pas forcément un acte politique.


Dans tous les cas, Juno est le summum du film indépendant US avec réalisation sincère et B.O. gentiment folk, un petit chef d’œuvre dans le genre à revoir sans modération. On y pose une vision tendre sur l'adolescence, réaliste car témoin du quotidien et de tout ce qu'il apporte de difficultés et petites joies. Une vision presque amoureuse, ou du moins attendrie par ses personnages un peu à côté de la plaque, tellement sympathiques qu'ils obtiennent forcément notre empathie. Le film est léger même si le propos se fait grave, le ton humoristique, décalé et dédramatisé apporte une touche d'espoir au tableau comme pour nous dire que peu importe la difficulté de la situation, l'on est capable de s'en sortir, ne serait-ce qu'en souriant. C'est un peu une drôle d'esquisse de la vie, comme un dessin qu'on trouverait en marge d'un journal intime, un coup de crayon fin et minutieux, coloré et qui, malgré son apparente désinvolture se révèle d'une justesse inouïe, d'une rare délicatesse dans les traits et l'approche à son sujet.


C'est une véritable petite perle, une pilule de bonheur à avaler avec un grand verre de jus d'orange quand le blues pointe son nez, une joie de tous les instants qui donne envie de prendre sa guitare et de chanter "Anyone else but you" des Moldy Peaches par une belle après-midi d'automne avec un amoureux comme Paulie Bleeker, d'écouter de la bonne musique, de regarder des films d'horreurs cheaps mais surtout d'aimer de tout son cœur. D'aimer avec la bonté d'âme de Juno, qu'on aimerait avoir comme amie, de partager avec altruisme sans rien attendre en retour, comme elle, de poser un regard frais et généreux sur les choses, de se contenter des petits bonheurs de la vie. Car c'est ce qu'est Juno, un rayon de soleil au milieu des nuages, qui vous va droit au cœur, vous laisse un sourire béat et exalté et une larme à l’œil.

Lehane
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le 19 févr. 2014

Modifiée

le 19 févr. 2014

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