Juno, radioscopie de l’Amérique – Jeunesse, guitare folk et grossesse non désirée.

L’un des gros points forts du film est son casting riche, composé d’acteurs aux profils variés. Ellen Page, déjà vue à l’époque dans la franchise « X-Men », obtient le rôle principal de Juno. Elle trouve ici son premier grand rôle. La suite de sa filmographie – avec des rôles dans « Inception » ou un retour chez « X-Men » – confirme le rôle important qu’a tenu « Juno » dans sa carrière. On retrouve aussi et dans un rôle taillé pour lui, Michael Cera (qu’on confond souvent avec Jessie Eisenberg) connu aussi des amateurs de « Supergrave ». En binôme avec Allison Janney dans les rôles de parents de Juno, le très grand J.K Simmons (oscarisé pour son rôle dans « Witspash »). Pour conclure le casting, on notera la présence de Jason Bateman (« Comment tuer son Boss ») ainsi que Jennifer Garner (« Alias » pour la télévision, « Daredevil » pour le cinéma, youhou c’est la fête).


Petite anecdote sympa: le générique en animations du film a été réalisé en 7 mois par un petit studio d’animation indépendant à côté de Los Angeles.


L’adolescence c’est déjà compliqué, alors un bébé ça n’arrange rien.


L’histoire de Juno est celle d’une adolescente habitant une banlieue dans l’Etat américain du Minnesota, adorant les salons sur pelouse (et les Hamburgers Phones, dont les ventes ont d’ailleurs explosées après le film). Sa vie familiale est quelque peu chaotique: sa mère ayant quitté son père, elle finit de grandir dans une famille recomposée avec une belle mère esthéticienne, fana de chien et une petite demi-sœur qui aime le bacon. A côté de sa famille finalement compréhensive et libertaire, Juno s’épanouit avec sa meilleure amie Leah, cliché de la cheerleader à l’image un peu écornée et fille excentrique. Et avec un garçon, Paulie, un introverti (d’apparence) aux rituels qui frôlent l’obsession (cool le déo sur les cuisses). La relation entre Juno et Paulie n’a pas de statut clair et la nature de cette relation sera en définitive un enjeu permanent du film (ainsi que son dénouement).


Comme pour « Starbuck », le traitement de ce sujet par le biais de la mise en scène et du scénario est ici capital. De la même histoire – en changeant toutefois quelque peu les dialogues – on pourrait en faire une tragédie. D’ailleurs si ce film avait été fait en France, il aurait été dramatique. Et c’est ici que la personnalité de Juno est importante. Durant tout le film, elle semble jongler avec des problématiques très dures et pourtant sa nonchalance est bien perçue ici comme telle; et non prise pour de l’immaturité par exemple


Aussi, Juno est dur a résumer. C’est plus qu’une histoire de grossesse, plus qu’une histoire d’amour ou de rupture. Juno, c’est l’histoire de la vie dans tout ce qu’elle a de compliqué mais aussi dans tout ce qu’elle a de simple.


Psychothérapie d’une classe moyenne des plaines


De même que son rapport avec les jeunes de son âge et le lycée, la rencontre de la future famille adoptive est absolument décalée. La famille adoptive n’est pas du même milieu que Juno et c’est l’une des principales raisons qui la pousse à les choisir aussi. Elle est plus aisée et rangée. On assiste par conséquent à la rencontre entre deux classes américaines, une bourgeoise et une populaire. Une rencontre entre deux mondes assez hermétiques, dont les opportunités offertes par le modèle sociétal américain de se côtoyer sont rares. Le passage d’un monde à l’autre est notamment symbolisé par la vue du panneau qui annonce le changement de quartier. Cette forte distinction se retrouve aussi dans les attitudes: il s’agit en définitive de la rencontre entre l’impertinence de Juno et la retenue de Vanessa. Juno se sent à l’aise, le couple montre des signes de gêne. On a donc deux comportements bien marquées qui vont pourtant être brouillées lorsque Mark passera d’un comportement à l’autre – de Vanessa à Juno.


Juno a en effet une très bonne culture, qu’elle partage avec Mark (la musique, les films d’horreurs et une forme d’humour noir). Une culture commune mais aussi une culture en rupture avec leurs milieux familiaux respectifs. La belle mère de Juno aime les chiens et pousse sa petite fille à faire du patin à glace. L’autre couple se reconnaît dans les codes d’une catégorie d’Américains aisés, que Juno se prend à qualifier de « bourges » au moment où Mark lui propose du thé au ginseng.


Une autre opposition est traduite par le film: celle grandissante entre Vanessa et Mark Loring qui déchirera définitivement leur couple. L’arrivée d’un bébé et les préparations qu’elle suppose divisent déjà le couple en silence. Vanessa prépare méticuleusement cette arrivée: elle doute mais s’investit beaucoup, à l’image de son incertitude quant à la couleur de la chambre du bébé. Elle intellectualise ce changement de vie de famille d’autant plus qu’elle ne porte pas cet enfant. Lui ne prépare pas sa paternité essentiellement parce qu’il n’attend pas de la même façon l’arrivée de son bébé. On dit couramment qu’une mère est intuitivement maternelle alors qu’un père ne le devient que lorsqu’il voit son enfant. Je crois que c’est le cas pour Mark. Il n’arrive pas à se projeter dans son nouveau « rôle » de père. Lorsqu’on lui demande s’il est content de devenir père, il cherche d’abord ses mots avant de raconter des choses d’une grande banalité. Peut être, et c’est sûrement ce que le film a voulu faire comprendre est que le fait d’avoir un enfant pour Mark marque une transition, une rupture dans sa vie. Avoir un enfant est un engagement bien plus important et définitif qu’un mariage, qui peut être rompu.


Mark a un rêve. Il en est fait mention plusieurs fois dans le film: il rêve de devenir, ou plutôt de redevenir, un musicien professionnel. Son travail de compositeur à la maison est une sorte de réduit de ce rêve, mais la perspective de devenir père rend impossible ce retour a la musique.


Finalement si je pouvais résumer très schématiquement ce point, je dirai que la maternité pour Vanessa est une consécration, mais qu’elle est une rupture pour Mark.


Le traitement de Vanessa est intéressant dans ce sens, l’on ne connaît que peu de choses sur elle a travers le film (elle apparaît moins également que son mari). L’on ne connaît ni son métier, ni ses passions, les seuls moments où elle apparaît dans le film sont très courts et toujours en rapport avec la grossesse de Juno. Sauf une scène, furtive mais qui marque un changement a la fois dans le film mais également dans l’image que nous renvoi Vanessa. La scène se passe dans un centre commercial, Juno et Leah observe le parc d’enfants en contrebas et voit alors Vanessa jouer avec une petite fille. Il s’agit alors du seul moment (avec la fin bien entendu) ou elle semble heureuse, détendue.


Un réelle inéquation existe donc dans les projets du couple, dire que c’est ce désir d’enfant qui les poussent a se séparer. Peut être existe t’il d’autres problèmes non évoqués dans le film. Après une scène assez ambigu entre Juno et Mark, ce dernier lui annonce la nouvelle. Il annonce par la suite a sa femme qu’il va prendre un « loft » en ville (symbole au combien connu du célibataire), il semble alors que l’histoire qu’il vient de vivre lui ai rappelé son ambition, qu’il entreprendra peut être maintenant de réaliser.


Du coup l’histoire de ce couple qui se sépare est une allégorie pour Juno (le film tourne quand même autour d’elle). Les mêmes problèmes se posent pour elle, et cette rupture va lui faire réaliser qu’elle sont ses priorités. Une discussion avec son père, sorte de dénouement final, lui fera comprendre.


Le film aborde donc quatre thèmes majeurs, l’histoire de Juno et sa grossesse, L’histoire entre Juno et Paulie, l’histoire entre Vanessa et mark et enfin le rapport entre la grossesse de Juno et son adolescence.


Quelque chose d’intéressant que j’ai appris en préparant cette chronique, est que la scénariste du film Diablo Cody (cette femme a un nom super classe) a tiré beaucoup d’éléments de sa vie pour écrire cette histoire. Elle a même puisé dans son autobiographie « Candy Girl:A year in the Life of an Unlikely Stripper ». Le Script de « Juno » est donc l’adaptation par son auteure de son histoire, ce donne je trouve une valeur ajoutée au film. Déjà parce que l’histoire gagne en crédibilité. Car aussi voir une auteure pouvoir adapter elle même son œuvre et sa vie (même si certaines modifications ont été nécessaires) est rassurant dans une industrie du cinéma connue pour s’en foutre de la véracité de ses récits.


La guitare folk comme ligne directrice.


c’est un album a part entière, de la bonne putain de folk


Ce qui est bien avec Juno, c’est que sa bande originale peut s’écouter comme un album a part entière. Les musiques de films sont en général de bons CD a écouter pour se rappeler une ambiance. Mais dans ce cas, quelqu’un qui n’aurait pas vu le film pourrait parfaitement apprécier ce recueil de musique folk. Car la musique, privilégiant la guitare (souvent solo) et les voix façon a capela, retranscrive parfaitement le ton du film tout en gardant une vraie cohérence musicale.


Ellen Page, comme beaucoup d’actrices avant elles, mais aussi parce qu’elle est musicienne, chante et joue sur certains morceaux. Cela donne de superbes reprises, dans l’esprit du film, et surtout ce petit plus d’authenticité, qui se retrouve ensuite dans « Juno ». Non contente de participer de façon directe a des morceaux, elle donnera des pistes au réalisateur, en lui conseillant par exemple Kimya Dawson (qui prie son rôle au sérieux en proposant 120 chansons de sa composition pour le film). Ellen Page proposera également la chanson « Sea of Love » de Cat Power (Chanteuse et compositrice Américaine). Il est intéressant de noter que Jason Reitman avait dans un premier temps pensait prendre un ou deux morceaux du célèbre groupe « The Kinks », ce qui indique l’ambiance du film devait être a l’origine plus « Pop » qu’il ne l’est aujourd’hui. A l’origine également, le réalisateur pensait faire de Juno un fan de « Glam Rock », préférant simplifier le personnage, et le faire coller a une image plus authentique, il finira par choisir la « Pop-Folk » pour l’ambiance, et fera de Juno une fan de « Punk » (bien qu’aucun morceau de ce genre ne soit joué, sauf peut être « Superstar » de Sonic Youth).


J’aime énormément la reprise faite pour le film du morceaux « Anyone Else but you » (personne d’autre que toi) du groupe « The Moldy Peaches » (groupe Américain, se déclarant pour la blague anti-Folk). Dans le film c’est une reprise, qui arrive comme scène de fin et elle est chanté par Ellen Page et Michael Cera.


Parce qu’une citation vaut mieux qu’un long discours, et que cette chronique est un peu longue :


«Je sais bien que normalement on tombe amoureux avant de se reproduire, mais je crois que la normalité ce n’est pas notre truc.»


Gardez l’œil ouvert, la beauté est dans le détail.

Créée

le 18 mars 2016

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