Le miel et les abeilles, Wachowski Remix, Vol.1

Comment faire état de la déception si profonde que fut Jupiter Ascending sans user de superlatifs acerbes qui iraient à l’encontre de ce que je pense réellement des frè… hum… de la fratrie Wachowski. Comment hurler cette tristesse causée par ceux qui ont pourtant signé LA séance la plus marquante que j’ai pu vivre en salle, à savoir un certain Matrix, épopée venue de nulle part qui m’avait assommé dans mon siège aussi simplement qu’une bouche s’évapore, privant son porteur de tout pouvoir d’expression.

Et pourtant, j’étais prévenu, Cloud Atlas avait commencé à témoigner d’une certaine euphorie ambitieuse assez dangereuse. Comme si les deux esprits à son origine étaient à même de porter à l’écran chacun de leur caprice créatif, assurés qu’ils sont de leur génie, caméra en main. Alors pourquoi ne pas se lancer dans un space-opéra qui repomperait toutes leurs influences, qui tenteraient d’illustrer chacune de leurs thématiques, le tout dans une ambiance mi-familiale, mi-badass, histoire de taper large. Sur le papier, l’intention faisait peur, à l’écran, malheureusement, ça se confirme. A aucun moment Jupiter Ascending ne parvient à canaliser les ambitions à son origine : les séquences s’enchaînent de façon fonctionnelle pour essayer de décrire un univers qui ne peut décemment pas s’exprimer en deux heures de temps et quelques maquillages directement inspirés des horreurs esquissées dans Cloud Atlas.

J’étais pourtant prêt à jouer au moutard peu exigeant, à avaler des couleuvres en me pourléchant les babines devant un spectacle bien gaulé, conscient qu’il est question de conte et qu’il faut accepter l’univers pour apprécier le voyage. Dès lors, le combo femme de ménage désabusée qui se découvre un destin royal, mi-homme mi-clébard romantique placé sur l’échiquier pour la protéger, salopards ailés tout droit sortis d’un album d’Alef Thau, le tout dans un univers en mutation, tantôt baroque, tantôt sci-fi, tantôt vieille France, pourquoi pas, même si les dents commencent à grincer devant tant d’amalgames de style. Le crissement persistant, rendez-vous sera pris chez les dentiste lors du petit détour dans les arcanes d’une administration capricieuse qui ôte au spectateur toute volonté de se laisser emporter : entre deux humanoïdes spielbergiens qui se font la guerre à coup de regards robotiques, un fonctionnaire corruptible tout droit sorti de l’univers de Peter Jackson et des guichetiers qui feraient pâlir les gobelins irascibles de Gringotts, toute espoir d’harmonie s’envole : les Wachowski se sont perdus dans leur propre univers.

Mais la goutte d’eau qui déclencha la larme de frustration vient de la seule composante de Jupiter Ascending dont personne ne doutait, à savoir le cœur même de sa mise en scène. Le constat est sans appel, les scènes d’action sont répétitives, leur montage est fait au hachoir et la narration de ce destin anti-héroïque est tout simplement inexistante. Et c’est bien plus dommageable pour l’intégrité même de Jupiter Ascending, beaucoup plus que sa direction artistique excentrique. Parce que ce sont les fondements même de la mécanique du spectacle qui en prennent un gros coup derrière la nuque. Chaque dialogue sonne creux, uniquement destiné à combler la logique qu’il manque à toute cette débauche d’énergie. Finalement, la bataille pour la terre se résume à une histoire d’héritage et d’humains qu’on transforme en piles Energizer (oh wait ?) ; l’histoire se répète, mais en beaucoup moins bien. Que dire également de cette troidé inutile qui a pourtant, à priori, été pensée et optimisée à la prise de vue. Une fois de plus, elle est au pire accessoire (le petit plan sur l’abeille qui butine annonçant le twist à suivre), sinon quasiment assassine de toute intention esthétique, le pire étant le mariage surprise de la jolie Youpiter (grosse GROSSE VF) qui s’attarde longuement sur une démonstration technique de la profondeur de champ au détriment de l’ampleur même qui est censée caractériser la séquence. Enfin, et c’est certainement ce qui est le plus désolant, il y a dans Jupiter Ascending cet évident problème de rythme que l’on retrouve dans toutes les productions « faster, better, stronger » du moment. En à peine 10 minutes de bobine, les rétines sont rassasiées pour 10 ans d’effets visuels frénétiques, toutes les mécaniques visuelles du spectacle à venir sont dévoilées et jamais ensuite, dans les 110 autres minutes qui suivront, la surprise visuelle ne sera plus au rendez-vous. Soyez prévenus, le temps de l’innovation technologique UTILE est révolue, on est bien loin de l’accouchement du bullet time matrixien révolutionnaire qui avait pour lui, d’une part, d’être une innovation technologique ingénieuse, et surtout, d’autre part, d’être une aide nécessaire pour construire l’intrigue. Dans Jupiter Ascending, tout n’est que surenchère du vide, vaisseaux rutilants en détresse, flammes dévorantes, et Climax de 30 minutes qui s’enchaînent. Il serait appréciable que les pontes du grand spectacle retrouve la logique même de ce terme, comment apprécier une montée en régime si tout le reste du film est temporisé par le même beat essoufflant. Qu’on se le dise, le spectateur n’est pas une machine à encaisser de l’effet visuel en série.

Avant de laisser la détresse s’emparer de mon clavier, de laisser les maux dépasser ma pensée, concluons cette palabre déjà trop bavarde. Finalement, ce que j’ai le plus apprécié dans Jupiter Ascending est ce que j’en redoutais le plus, à savoir les bottes magiques de l’angelo Tatum. Les séquences les plus réussies visuellement sont les petits spots Redbul focalisés sur le surfeur de vecteurs, la seule semi -réussite de ce film qui se vautre par ailleurs dans tout ce qu’il entreprend, et n’a pour le sauver, finalement, qu’un amas de thématiques typiques de l’univers des Wachowski. Si ça suffira à contenter leurs fans Hardcore, ceux qui se persuaderont que les non initiés sont des analphabètes du bulbe, incapables de saisir autre chose que le complexe oedipien pour les nuls frappant le pauvre Eddie Redmayne —qui passe son temps à se demander ce qu’il fout là, bien conscient qu’il vient de détrôner Loki de sa place du méchant le plus loupé de l’histoire des méchants voulus trop badass de la mort (comme la pauvre Mila Kunis d’ailleurs qui n’hésite pas à renfiler ses gants mappa à la fin tant elle est aware du drame qu’elle vient de signer)—, il y a fort à parier que ce sera trop court pour le reste du monde, y compris pour ceux qui nourrissent un respect mérité pour l’univers des Wachowski.

Mais au-delà de toute la détresse de cet avis, de cette déconvenue extrême, il y a tout de même une question qui s’impose. Où sont passés les Wachowski, ceux qui parvenaient, avec beaucoup moins de moyens, à trouver si forte percussion à l’écran ? Faut-il leur sabrer un peu d’argent de poche pour les voir extirper leurs têtes des nuages, ceux qu’ils ont pu atteindre à force de budgets toujours plus confortables et qui les empêchent désormais de distinguer le faisable du délire de créateur.
oso
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le 7 févr. 2015

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oso

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