J'ai toujours une petite appréhension au moment de cliquer sur l'icone du "coeur de coeur", sur Senscritique. Comme si ce petit geste m'engageait personnellement beaucoup trop, comme si je m'exposais dans ce que j'aimais le plus, et donc dans ce qui me touche, dans mon intime.


Pour ce film, je le fais sans crainte. Déjà, parce qu'il est culte et reconnu comme tel par presque tous (Dieu que les critiques négatives sorties à l'époque ont mal vieillies, pas vrai Télérama ?). Ensuite parce que je défendrais ce petit coeur avec toute mon âme sans faiblir. Jurassic Park, au delà de son monument, de son aura, de sa réputation, est sans doute LE meilleur film de Spielberg et l'un des chef d'oeuvres du cinéma. C'est le film qui parle le mieux de Spielberg, de son cinéma, et de l'Humain en général. C'est un bijou, un diamant forgé au degré près pour divertir sans jamais oublier de poser des questions intelligentes, et qui le fait sans jamais forcer ni imposer de réponse obtuse.


"It's... It's a dinosaur !?!"


Si le film me touche autant que je me sens obligé de lui apposer cette marque d'affection, c'est sans doute parce qu'il parle, comme beaucoup de films de Spielberg, au gosse en moi, de la même manière que le spectacle que découvrent Alex Grant et Ellie Sattler les ébranle. Même si je ne suis pas de la même carrière qu'eux, je partage leur passion des choses disparues, une passion que l'imagination nourrit d'autant plus fortement que dans le monde réel, faire revivre les temps anciens sont une chimère. Une folie séduisante, mais une folie.


Alors lorsque le film montre ces deux personnages, engoncés dans leurs certitudes et leur savoir, être littéralement bouleversés devant un dinosaure vivant, au point d'en avoir le souffle coupé et les jambes qui ne les soutiennent plus, ça remue des choses dans mes tripes. Cette émotion débordante, devant un spectacle qui surpasse tout ce qu'on a connu, et ce que l'on attend, je la connais, et je sais à quel point ces scènes sonnent juste (Même si je ne peux pas faire des câlins aux pierres pour les sentir respirer). Et Spielberg sait y faire, pour créer ce lien ; l'enthousiasme de John Hammond est, au début, véritablement contagieux. Richard Attenborough excelle d'ailleurs dans ce rôle, toujours en équilibre sur une ligne fine entre le fou dangereux et le génie visionnaire. Et comme le maître de ce parc, le réalisateur réussit à nous faire perdre la tête devant la beauté de son spectacle, sans toutefois oublier de traiter son sujet.


Life always finds a way


En ce sens, si les personnages de Grant et Sattler expriment l'émerveillement, celui de Ian Malcolm (suave Jeff Goldblum) amène pour sa part les doutes qui finissent par tirailler le spectateur exigeant devant un tel miracle ; A quel prix peut on jouer avec la nature ? Et il n'est pas question ici de morale religieuse (excepté un trait d'humour de Malcolm, très bien retourné par Sattler), mais de logique : Comment peut on imaginer faire se rencontrer les humains et les dinosaures (que séparent 65 millions d'années d'évolution) sans que rien de grave ne se produise ? Tout le message de Spielberg est contenu dans cette réplique de Malcolm reprochant à Hammond et ses savants de s'être contenté de savoir si ils pouvaient, et non si ils devaient. Une phrase qui résonne étrangement aujourd'hui, à une époque de développement des IA et d'émergence du transhumanisme, et d'autant plus intéressante que Malcolm ne juge pas selon des critères moraux mais scientifiques ; Il pense, à raison, que l'Humanité n'est pas en capacité de contrôler la nature et son infinité de variables, qu'il appelle "Chaos", d'où sa méfiance qui s'avère légitime.


Dans le grand débat philosophique de l'Histoire de l'Humanité, c'est sans doute assez mineur, mais pour du cinéma de grand divertissement, c'est une grande réussite que de poser de telles questions, avec des réponses aussi convaincantes... Mais ça ne suffit pas pour faire un bon film.


What have they got in here? King Kong?


Bon, j'ai un peu du mal à juger les effets spéciaux, qui étaient à l'époque l'argument de vente n°1 du film. Cependant, il suffit de se dire qu'avant Jurassic Park, c'était un peu la misère, et qu'aujourd'hui ça passe encore vachement bien, pour respecter le truc. Alors me faites pas dire ce que j'ai pas dit ; quand on est habitué aux derniers blockbusters en date, on voit que c'est fake. Mais ça reste suffisamment joli et avec assez d'attention aux détails pour s'en satisfaire, surtout quand le reste continue à marcher du feu de Dieu.


On le dira jamais assez, mais Spielberg est un génie du cinéma. Pas du cinéma intellectuel à la Kubrick mais d'un cinéma universel, qui sait utiliser la caméra comme l'oeil du réalisateur pour transmettre une histoire, un récit. Jurassic Park est la quintessence de ce cinéma ; la mise en scène est inventive, ultra efficace, tour à tour empathique et intimiste puis spectaculaire et épique... Le tout n'est pas gâché par la musique d'un autre génie, John Williams, à qui on ne donnera jamais assez de louanges pour son oeuvre. J'avoue avoir été particulièrement frappé par le sens du suspens de ce film en particulier. Là où les deux premiers Indiana Jones ne m'inspiraient rarement plus qu'un intérêt amusé, Jurassic Park installe et fait monter régulièrement une tension palpable qui fout des frissons. Et là encore, malgré environ 4 scènes qui pourraient se résumer à "des dinos chassent des humains", Spielberg trouve toujours un moyen de se réinventer ; par le décor, les stratégies des personnages, et de la mise en scène. Rarement le divertissement n'aura été aussi inventif, aussi grandiose, et aussi... peu humble.


I spared no expense


C'est tout le paradoxe de Jurassic Park, qui le fait pour moi monter au dessus du très bon film de divertissement ; le sous texte très méta sur le cinéma de Spielberg, et sa comparaison avec le parc. A travers ce film, le personnage de Hammond et son projet complètement fou, Spielberg semble se regarder dans le miroir et s'adresser des critiques que assez peu de monde lui faisaient à l'époque.


Un cinéma à budgets titanesques, qui ne laisse aucune chance à d'autres de rivaliser, qui place le divertissement avant d'autres considérations artistiques ou éthiques, gangrené par l'appétit des actionnaires et bridé par des hommes en costume qui portent le titre d'avocat mais tiennent plus de la sangsue ("blood sucking lawyer"). Lequel avocat finit d'ailleurs vraiment mal, comme si le réalisateur avait un compte à régler. Et comme si Spielberg était dans la position de cet homme, Hammond, qui s'oppose à l'idée d'un parc de luxe pour quelques privilégiés et qui veut avant tout faire rêver les gens ; d'abord avec des spectacles de puces puis avec le projet le plus fou de l'Histoire de l'Humanité.


Il y a une poésie saisissante dans la mise en abyme d'un film qui aurait tout pour être formaté, qui ne s'échappe d'ailleurs pas réellement du caneva du film d'action blockbuster mais qui arrive néanmoins à s'en émanciper juste assez pour oser prôner sa propre chute. La fin du film est à mon sens aussi belle que culottée ; Lorsque Hammond se rend compte qu'il doit faire le deuil de son rêve et que Grant observe avec émerveillement le vol d'oiseaux, misérables descendants de titans... Un message que je perçois comme une invitation à apprécier des spectacles plus simples, moins grandioses, mais tout aussi beaux, pour peu que l'on ait le regard pour les apprécier.


Il en fallait du culot pour se faire pareille critique. Il en fallait du talent, pour le faire comprendre.
Et donc, pour ce film qui ne manque ni de l'un, ni de l'autre, je baisse bien bas mon chapeau...


Maître Spielberg.

Llanistar
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 14 oct. 2018

Critique lue 147 fois

1 j'aime

Llanistar

Écrit par

Critique lue 147 fois

1

D'autres avis sur Jurassic Park

Jurassic Park
Sergent_Pepper
8

Féérie du chaos

Dans la galaxie en triste expansion du blockbuster, il est recommandable de revenir de temps à autre aux fondamentaux : pour savourer, et comprendre à quel point le savoir-faire en terme de cinéma...

le 12 janv. 2018

95 j'aime

8

Jurassic Park
Gand-Alf
10

La grande illusion.

Comme tout garçonnet de neuf ans croyant dur comme fer à l'existence des tortues ninja, je vouais un culte sans bornes aux dinosaures, ces monstres géants non pas issus d'un quelconque folklore mais...

le 5 août 2013

90 j'aime

4

Jurassic Park
MatthieuS
10

Les dents de la terre

Avant d’être une saga avec ses hauts et ses bas, Jurassic Park fut un film qui connut un formidable succès dans le monde entier, battant le record au box-office mondial en 1993 et restant au sein de...

le 10 août 2017

79 j'aime

33

Du même critique

Hellblade: Senua's Sacrifice
Llanistar
8

Plongée dans les limbes de l'esprit

Comme le disait un personnage du jeu, les batailles les plus rudes se jouent dans l'esprit humain. Rien ou presque n'est aussi effrayant pour nos esprits modernes ; et rationnels, que la folie, la...

le 30 août 2017

36 j'aime

3

Far Cry 5
Llanistar
3

Trust. Pay. Forget it.

Far Cry 5 est l'un des pires jeux auxquels j'ai joué depuis plusieurs années. C'est un jugement un peu brutal, et qui comporte sa part de subjectivité, mais je peux assurer mon cher lecteur que...

le 27 mai 2018

29 j'aime

3

Hades
Llanistar
10

Souffrir l'enfer... Pour un peu d'air pur.

Trois moires, trois surprises J'ai fait partie des premiers acheteurs d'Hadès. C'était écrit par les Moires ; Un jeu de SupergiantGames (studio dont les créations sont toujours artistiquement au...

le 23 sept. 2020

9 j'aime

1