Battant le fer pendant qu'il est... bien tiède, Universal décide de sortir un nouvel opus de Jurassic Park, non pas quatre ans après la sortie du III, mais quatorze. Des premières images filtrent : une surfeur dévoré tout cru par un couple de ptérodactyles de passage ! Je suis immédiatement emballé-c'est-pesé ! Et puis les mois passent, ces images se révèlent être un fake et le film s'annonce comme un projet exclusivement mercantile, sans âme et sans risque. Jurassic World a mis du temps à se faire, mais il a été fait à la va-vite.
Dès les premières images, notre nostalgie est bafouée : des œufs 3D sont craquelés et ouverts de l'intérieur par une créature infographique. Or on a vécu une éclosion animatronique de premier ordre dans Jurassic Park donc le CGI en plein dans la gueule, ça ressemble à rien, c'est même pas une ouverture qui happe le spectateur et captive son imagination. Non. C'est un plan qui évoque son ainé en pervertissant son travail.
Et le film entier va se faire l'écho de cette bévue. Systématiquement, on te rappelle qu'il existe un film vieux de vingt-deux ans, que tu as aimé, et que ce World c'est la même chose mais en mieux parce qu'il y a plus d'effets numériques, t'as vu ?
Mais le succès de Jurassic Park n'était pas dû à ses seuls effets spéciaux. Le lien de cause à effet est même totalement inversé : le succès du film a fait exploser l'infographie au cinéma. Il a marché parce que Spielberg est un prodige, son sens du timing impeccable, que les personnages sont attachants malgré un script en apparence simpliste, mais qui développe clairement ses thèmes. Tout ce qui fait la qualité d'une histoire depuis toujours...
Ensuite, certes il a été bien vendu. Mais Jurassic World a été vendu avant même d'être fabriqué.
Même si j'y suis hermétique, je comprends que les pubs placardées partout dans le parc agacent, d'autant que sur ce point le premier s'en passait bien. Cependant je suis bien plus peiné par la piètre performance des scénaristes que par l'excès de Ripolin des commerciaux.
Dans les trois premiers, même les moins reluisants, l'intrigue se lançait suite à une malveillance, ou à la rigueur un mensonge... Là, l'enjeu du film est dû à de la connerie pure et dure. "Ah bah on n'a pas fait gaffe à notre nouveau dino mutant..." C'est vrai c'est con. Il suffisait... je sais pas, moi... de faire gaffe ?
Ensuite, des personnages tous en bois narrent leurs back-stories à haute voix haute... Une maladresse telle qu'on n'en trouve même pas chez des étudiants-scénaristes en première année ! Pire scène en la matière, une discussion entre les deux frères qui vient parasiter le rythme :
- Au fait, nos parents divorcent.
- Meeeuh non, tu nages en plein délire !
- Si j'te jure, j'ai même cherché le mot "Divorce" sur GOOGLE !
- Mmh et pourquoi tu me dis ça maintenant ?
- Pour niquer l'Acte II, frérot.
- Enculé !
Mais surtout, et ça c'est ma fille de neuf ans qui me l'a souligné au terme de la projection, le scénario échoue à présenter le Dino-mutant comme une menace valable. Tout l'acte I démontre au contraire qu'il n'est qu'une victime, fabriqué et éduqué en dépit du bon sens, et les humains cherchent à l'éliminer pour ne pas ébruiter leur connerie. Pensant à juste titre qu'on est venu voir une chasse au dino, les scénaristes ont tout connement présumé qu'il suffisait d'en inventer un bad-ass.
La scène qui aurait dû être la plus passionnante de tout le film, Chris Pratt emmenant ses raptors en découdre avec le mutant, est quant à elle estampillée une "très mauvaise idée", et qui plus est celle du méchant militaire. Comment voulez-vous vibrer devant une narration aussi peu engageante ?
C'est une question à laquelle il va falloir s'efforcer de répondre, car malgré tous mes griefs j'ai passé deux heures plutôt agréables, les acteurs ayant fourni le cœur que l'équipe de production a perdu en chemin... Chris Pratt prête son charisme et sa bonne humeur à un rôle si peu développé qu'il semble tout droit sorti d'une série des années 80. Vincent D'Onofrio, toujours brillant en connard de service, Omar Sy, toujours au taquet et surtout l'impeccable Ty Simpkins, vu dans Insidious et Iron Man 3 est parfait dans son rôle de gamin pas-tout-à-fait-autiste-mais-pas-loin.
C'est peu, je le reconnais, mais à vrai dire, les précédents films n'étaient pas mieux lotis. Scénar pondu vite fait, équipe technique qui n'en a rien à foutre de ce qu'est le septième art, acteurs au sommet qui se lancent le défi de rattraper tout ça... Telle est la norme depuis le premier Jurassic Park ! On devrait se rebeller, mais quand le soupçon de magie qui reste à Hollywood fonctionne, on n'ose pas lui demander en plus d'être de qualité...