Y a trois sortes de mauvais films.
Y a les pires, ceux qui vous énervent, qui vous infligent une douleur intellectuelle insupportable, qui vous font vous énerver et qui pourrissent les conversations que vous avez avec vos amis.
Y a ceux qui vous laissent indifférents, voire qui vous font carrément chier.
Et y a ceux pour lesquels vous ressentez une sorte d’empathie – de tristesse plutôt, ce sentiment élégiaque qu’est le « ça aurait pu être bien ».


A mon sens, Jurassic World est fermement installé dans la dernière catégorie. C’est un film dont le but avoué est de rapporter des sous, certes, et je me doute bien que les producteurs n’étaient pas mus par autre chose que la cupidité, mais c’est tout de même un film où l’amour profond de l’équipe créative pour le film originel, leur passion même, parvient à rejaillir malgré tout – ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain, il y a une énergie créative derrière ce blockbuster, aussi ténue soit-elle, et ce simple fait rend l’échec final d’autant plus dommageable …
Les scénaristes derrière ce machin ont prouvé, avec les deux volets du reboot de la Planète des Singes, qu’ils pouvaient pondre un scénario relativement correct ; avec trois ou quatre réécritures en plus, Jurassic World aurait pu être un divertissement solide. Seulement, on a l’impression de retrouver face à un brouillon - un film mal pensé, mal conçu, mal exécuté.


Histoire de ne pas gâcher ma journée en rage aveugle, je me contenterais d’un petit top 5 de ce que je déteste dans ce film :


5) Le fan service. Un peu, c’est bien. Trop, c’est trop.


4) Les personnages n’ont aucun intérêt. Tous les Jurassic Park avaient des acteurs pour porter le film : l’ensemble du casting du 1, Goldblum et Moore dans le 2, Sam Neil et William H. Macy dans le 3. Ici, rien. Omar Sy vient faire coucou à la caméra, bonjour Omar, ça va Omar, au revoir Omar ; Chris Pratt joue le rôle de Chris Pratt ; Vincent d’Onofrio joue une caricature de caricature de caricature de méchant qui ferait passer les ronds de cuir de l’épisode 2 pour des putains de Dark Vadors (au moins ils avaient un motif clair – le pognon ; d’Onofrio est juste là à babiller « militaires ! armée ! armes biologiques ! moi méééchant ! ») ; les gamins sont pas sans un certain capital sympathie mais nom de Dieu on sent vraiment que les scénaristes n’ont aucune idée de la manière dont un gamin pense, parle, agit ; et ils ont réussi, pour une raison qui m’échappe complètement, à amener l’excellentissime et regretté Irfan Khan pour lui faire jouer trois scènes et ensuite le faire disparaître de façon pratique du scénario, et puis il y a …


3) BRYCE DALLAS HOWARD. C’est pas le pire aspect du film, mais c’est celui qui va vous faire hurler dans le cinéma. Comment peut-on encore écrire des personnages féminins comme ça ? C’aurait été sexiste en 1975, nom de Dieu, aujourd’hui c’est … Hallucinant. Je veux dire, Laura Dern, Jurassic Park premier du nom, ça vous dit rien ? Enfin, la représentation de telle ou telle catégorie sociale n’a rien à voir avec la qualité d’un film, mais là, ça en fait tellement dans le surdosage, dans le jugement moral du personnage (tu BOSSES au lieu de t’occuper de tes neveux ? mais tu es une salope ! sérieusement, Proudhon et ses « la ménagère ou la prostituée, il n’y a pas de femme du milieu », c’était il y a 150 ans … - certes, ce genre de scénario peut marcher si on se concentre sur la partie affaires de « femme d’affaires », ce que ne fait jamais ce film), dans la surféminisation à outrance (qui aurait l’idée de garder ses talons hauts dans une jungle infestée de dinosaures ?!). Je … n’ai pas de mots. Je crois pas avoir vu un pire personnage principal dans un film d’action. La critique américaine Lindsey Ellis a fait un article sympa sur le sujet - http://www.ifc.com/fix/2015/06/jurassic-world-doesnt-deserve-cla. ‘Nuf said.


2) LE COTE META. C’est bien de faire des scénarios à double lecture. C’est mieux s’ils ont un sens. Le premier Jurassic Park faisait un truc sympa sur le désir de faire du grand spectacle, sur la problématique du divertissement. Là, on essaye de faire pareil. Sauf que c’est con. Déjà, que les gens, en trente ans, se lassent des dinosaures, euh, je joue la carte « CONNERIE ! ». On a des zoos depuis trois cents ans et quelques, ils font toujours doucement du bizness, et pourtant on voit à quoi ça ressemble un ours, ou un lion, ou un motherfucking tapir. Alors quand t’as un mosasaure, normalement, tu devrais pouvoir rentabiliser. Et puis c’est tellement lâche. « Oui, alors, vous voyez, on a fait un film un peu mutant bizarre COMME LE DINOSAURE T’AS VU DOUBLE LECTURE CLIC CLIC en mélangeant dans un shaker plein de bouts d’ADN piqués à gauche à droite, le cadavre des films de la série originelle et un peu de l’ouzo maison de tata Odette, et c’est pas trop terrible et un peu cupide mais en même temps comprenez-nous, monsieur le juge, c’est parce que le public il est con, il se lasse facilement, il faut lui mettre des truc bien gros avec des explosions et du CGI parce que sinon il regarde son portable dans la salle de ciné … ». Mais assumez votre démarche, bon Dieu ! Vous voulez faire un gros film d’action bourrin avec des dinosaures et le marketer sous l’étiquette Jurassic Park ? Faites, mais assumez ! Allez pas ramener les dinos du premier film à la fin pour faire genre « c’est toujours la nature qui gagne contre les aberrations, le bon vieux pot de confiture maison par rapport à la merde de supermarché » ! En fait j’ai aucune idée de ce que ce film essaye de raconter, tant c’est décousu, mal écrit et bancal ; mais dans l’état, la vision qui se dégage devant mes yeux ébahis à la lecture du scénario, c’est toute l’équipe du film en pleine génuflexion et en train se fouetter le dos avec des os de baleines, hurlant « c’était mieux avant, pourquoi est-ce qu’on fait ça déjà ? »


1) Pas de mise en scène. Pas d’enjeux. Pas de tension. Tout est trop contrôlé. Il y a trop de moyens à la disposition des personnages. Les trois premiers films étaient tous basés sur une logique de survie – c’est ce qui les rendait intéressants, et qui permettait à de vrais morceaux de bravoure d’émerger dans la mise en scène. C’est bien pour ça que t’avais jamais de militaires dans les épisodes précédents. Là, à part une scène avec les gamins (pas mal, mais trop courte), rien, basta, niet. Le principe du man vs. wild est un peu mis à mal, voire mis à mort, quand l’homme se ramène avec des flingues, des hélicos et des raptors apprivoisés. Du coup le film est plat, il va trop vite et trop lentement, il n’y a plus du tout ces longues scènes qui faisaient monter lentement, lentement la tension dans les films précédents : la cage et la chèvre dans le premier ; la caravane dans le deuxième ; la volière dans le troisième. C’est une aberration totale. Sans ce principe fondamental, le film est juste un bête machin d’action – qui n’assume même pas son côté action. Donc, à quoi il sert, ce film, finalement ? A la même chose que des lunettes de soleil pendant une plongée dans les abysses, que le service trois pièces d’un pape, que l’adjectif "gomorrhéen". A rien.


Jouons plutôt à Dino Crisis – au moins, y a pas Bryce Dallas Howard.

EustaciusBingley
1

Créée

le 6 oct. 2015

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