Finis ton script ou le raptor viendra te manger cette nuit

Je fais partie des rares gens à avoir plutôt aimé le 1er Jurassic World, bien qu'il soit fort possible que ce soit en partie parce que je n'avais pas vu le 1er Jurassic Park depuis très longtemps. Ma note sur Fallen Kingdom n'est donc pas celle de quelqu'un qui détestait le film d'avance, je n'avais ni attente ni crainte à son sujet. Je suis également assez flexible concernant les questions de crédibilité, j'accepte par exemple que des raccourcis soient faits quand ça n'a pas de réelles répercutions scénaristiques. Par exemple le coup de Claire qui court en talons hauts dans Jurassic World ne me dérange pas spécialement : c'est con mais ça ne met pas vraiment à mal la cohérence scénaristique du film (ça n'aurait pas été la même chose si elle s'était fait bouffer précisément parce qu'elle avait gardé ses chaussures), et le plan où elle fait face au T-Rex est cool même si on sait qu'en vrai elle se serait barrée depuis longtemps. Pourtant ici ça ne fonctionne pas.


Commençons par le positif : la réalisation de Bayona est pas mal stylée. Il gère vraiment bien la lumière, les coups de tonnerre qui font brièvement apparaître les dinos qui surplombent les humains grâce à un bon cadrage, les plans iconiques. Il offre énormément de belles choses avec par exemple un plan qui a tout pour être déchirant, un peu gâché je trouve par son irruption un peu brutale mais c'est personnel. Il y a aussi une séquence où l'usage du plan-séquence permet de donner une impression de temps réel à la course contre la montre et offre ainsi une tension très appréciable. On trouve régulièrement des petites séquences qui font mouche, dont une qui réussit à associer le danger avec l'humour d'une situation grotesque à la Octodad. Le climax est également assez prenant avec un cadre grandiose, bien que sa chute fasse un peu rire par son symbolisme bourrin (pas forcément un défaut à mon sens, j'aime bien rire peu importe la raison :D). Les dinosaures sont également très réussis, ils donnent l'impression d'être palpables.


Malheureusement l'écriture dessert tout. Déjà les nouveaux personnages sont affreusement clichés. Il y a la fille qui essaie de faire genre qu'elle est badass de manière hyper forcée devant des militaires qui la prévenaient que bon, il y a des des dinosaures dans le coin alors faudrait la jouer profil bas. Il y a le trouillard insupportable qui est là pour hurler pendant les scènes d'action afin de valoriser les héros qui eux n'ont jamais peur. Le couple de héros a des échanges pénibles avec un Chris Pratt qui essaie tellement d'avoir l'air cool qu'il en devient limite mufle. Cette relation entre eux nous rappelle qu'à Hollywood il est interdit de rester sur une rupture, il faut absolument se remettre ensemble sinon on considère que les héros n'ont pas résolu leur conflit intérieur et que c'est forcément triste. Et bien sûr on a des méchants business men qui continuent de faire les mêmes erreurs que leurs prédécesseurs, avec le même discours qui ne change pas.


Il y a deux types de scénaristes intégrant des vannes dans un film qui n'est pas catalogué comme une comédie : ceux qui font ça parce qu'ils pensent que leurs vannes sont drôles et ceux qui font ça par peur de faire ressentir trop d'émotions à des spectateurs qui ne sont venus que pour un divertissement inoffensif à oublier le lendemain. Vous vous doutez bien où ce situe ce nouveau JW : faut vite casser tous les moments un peu tendus des 3 premiers quarts du film en foutant une réplique là où le silence aurait été de mise (cf le personnage du trouillard, c'est quand on ne le voit plus que ça va un peu mieux). On nous fait même quelque chose d'insupportable : Dans une séquence un peu thriller, la base c'est d'offrir le sentiment aux personnages d'avoir trouvé une échappatoire qui les sauve du danger puis de leur enlever cruellement cet espoir pour renouveler le stress. Ce Jurassic World 2 l'a bien compris et le fait plusieurs fois, mais il y a au moins 3 occasions où les scénaristes se sont senti obligés de faire exprimer à gros traits le soulagement du personnage qui se croit sorti d'affaire ("Ouais on est sauvé, on est sauvé !"). Une tentative d'accentuer le désarroi à venir qui a surtout pour effet de nous faire anticiper un retournement de situation, lequel perd ainsi tout son effet. Il aurait parfois suffit d'enlever la réplique pour que ça fonctionne bien mieux. Quelques fois le procédé était trop évident à la base pour espérer nous surprendre mais il y a aussi de vraies opportunités manquées, des moments où l'on aurait facilement pu laisser planer un peu plus de suspense.


Enfin le script en lui-même manque d'intérêt. Parler de la question de protéger ces animaux, de comment ils sont perçus, c'était une bonne base. Mais le film ne va pas loin, il met des retournements de situation prévisibles et certaines facilités scénaristiques ont fait réagir toute la salle, réduisant la portée horrifique de ce qui s'en suivait. Un twist de série Z survient même inopinément et se paie le luxe de ne servir à rien. On a surtout un énorme ventre mou au milieu où l'on sait très bien vers quoi on se dirige mais on doit attendre sagement tandis qu'on nous déballe des passages obligés. On a aussi une sorte de dilemme moral qui se montre étonnamment peu impliquant pour le spectateur, sans doute déjà bien fatigué par un film qui cumule les mauvaises idées au milieu des bonnes. Ce dilemme est également une bonne illustration de l'adage qui dit que si ça fonctionnerait très bien sans dialogue, alors il ne faut pas rajouter de dialogue. "Si tu fais ça, on ne pourra plus revenir en arrière" : si c'est pour dire ça ne dis rien, contente toi de ton regard éloquent et ça aura beaucoup plus d'impact.


C'est frustrant parce qu'il y a plein de scènes que j'aime beaucoup, ainsi que des moments où l'humour par l'image fonctionne avec une touche de loufoquerie. Une séquence emblématique avait tout pour être brillante quand un dinosaure incarne le monstre du placard qui vient terrifier un enfant : c'était très bien filmé mais très mal amené et ce défaut suffisait à évacuer le bien que j'aurai pu en penser. Une scène à l'image du film entier.

thetchaff
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le 19 juin 2018

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thetchaff

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