Une scène traduit particulièrement toute l'ambiguïté du film. Antoine, massif et menaçant, fouille le nouvel appartement de son ancienne famille, comme à la recherche d'un indice lui prouvant que la conspiration de sa femme et de ses enfants contre lui existe bien. Face à l'inexistence d'une telle preuve, il fond en larme et exprime inlassablement la même phrase : "J'ai changé". On pense tout de suite à une honnête tentative de rédemption, le père s'écrasant en excuses pour son comportement passé. Pourtant, quelques minutes plus tôt, sa colère le poussait à terrifier son fils. Alors "J'ai changé", mensonge de la part du père ? Le déroulement des événements ne laisse pas penser qu'il puisse être capable d'une telle manipulation émotionnelle. Peut-être plutôt que "J'ai changé", la phrase la plus adaptée serait "Tu m'as changé". Tu m'as changé pour le pire, faisant de moi un monstre pour mon propre fils. Pendant un instant, le rapport de domination entre les deux parents s'inversent dans l'esprit du spectateur, et le refus de laisser le père faire partie de la famille, exprimée dès le début du film, devient un véritable outil de torture pour lui. Pourtant pas de coupable ici : si le père peut également être vu comme une victime, sa manière d'utiliser la violence psychologique et fatalement physique comme seule réponse face au mur de l'indifférence est toujours condamnée.


Une mise en abyme du spectateur débute et termine le film. D'abord objectif, il finit le film dans un choc qui ne lui laisse d'autre choix que de refermer la porte sur le mystère du jeu de domination entre les divorcés, et sur un regard de la mère dont on ne connaîtra jamais la réelle signification. Post-traumatique ou manipulateur ? Plus probablement, un peu les deux.


Legrand capte avec un réalisme troublant la complexité des relations et les jeux de manipulation qui en découlent. Un homme qui ne sait être que lui, et une famille qui ne veut plus accepter cette personne. Ce refus de continuer sa vie avec cette personne ne fera jamais l'objet d'une justification de la part du film, la personnalité d'Antoine avant la séparation étant laissé à l'imagination du spectateur. C'est bien là que le film gagne toute sa pertinence et se fait d'un réalisme perturbant : si on peut penser qu'Antoine a toujours eu ce caractère imprévisible, savoir si le condamner pour ça est justifié est impossible. On peut alors retourner à la scène d'introduction et à la difficulté, voire l'impossibilité, d'appliquer la loi et l'objectivité dans la complexité infinie d'une relation.

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le 8 févr. 2019

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