Aparté liminaire et considérations linguistiques avant d’entrer dans le vif du sujet.
Le titre anglais du film avait le mérite de la métaphore, "field of dreams" évoquant d’une part le terrain (de baseball, en l’occurrence) de rêve qui apparaît au personnage interprété par Kevin Kostner sous forme de voix, et d’autre part l’étendue des possibles qu’offre le songe de manière plus générale. La traduction française "jusqu’au bout du rêve", quant à elle, est d’une platitude déconcertante mais illustre peut-être plus honnêtement le manque d’ambition des cent minutes à venir.

Ce film ne peut décemment plaire qu’à un nombre très limité de personnes, à l’intersection des fans de Kevin Kostner jusqu'au-boutistes, des passionnés de baseball américain et des amateurs de relations filiales traitées sans consistance. Ce manque de profondeur se retrouve également dans le traitement de l’histoire liée au baseball, réduite à sa portion congrue, se contentant grosso modo d’évoquer un certain Shoeless Joe Jackson. La célébrité de ce joueur américain et les enjeux de ce sport sont rappelés au spectateur ignorant (dont je fais partie) à travers les questions enfantines posées par la fille du protagoniste, dans une ultime tentative de susciter un semblant d’intérêt. Autant le dire clairement, les plus fervents détracteurs de Kostner trouveront ici leur compte : une interprétation plus amorphe que jamais dans un film qui peinera à faire date, deux ans après "Les Incorruptibles" et un an avant "Danse avec les Loups". Il est vrai qu’au sortir d’une telle… chose, on est tenté d’oublier certaines de ses bonnes performances, comme par exemple son rôle à mon sens très réussi dans "Un Monde Parfait" sorti quelques années plus tard. On se relève de tout.

Quelques éléments intéressants méritent toutefois d’être soulevés, puisqu’ils sortent de-ci de-là le spectateur téméraire de la torpeur dans laquelle il est plongé.
Premier trait marquant, Ray Liotta tient le rôle d’un "gentil" (et accessoirement homonyme d’un musicien britannique sympa), fait d’armes exceptionnel dans la filmographie d’un légendaire salaud (flic véreux sans scrupule dans "Copland", fonctionnaire corrompu profitant de son petit pouvoir dans "Crossing Over" pour ne citer qu’eux).
On peut également apprécier comment s’opère le glissement d’un genre à l’autre, et plus précisément l’irruption du fantastique dans le récit : sans fioritures, sans effets de style poussifs et désagréables comme ce fut le cas dans de nombreuses productions du même genre dans les années 1980-1990.
Enfin, sursaut de lucidité dans cet océan de platitude, la mise en scène fait preuve à plusieurs reprises d’une certaine personnalité, assimilable à un acte bravoure dans un tel contexte. C’est le cas de plusieurs scènes dans le champ de maïs, où la caméra s’élève et tournoie au-dessus du personnage, soulignant ainsi les sentiments de solitude et de confusion qui l’habitent, lui, perdu dans son champ comme dans ses pensées. On ne peut pas parler de réelle virtuosité mais ces moments s’apprécient d’autant plus qu’ils sont assez rares. Le spectateur peut également se réveiller au détour d’une bande originale relativement soignée, avec par exemple le morceau "Jessica" (Allman Brothers) qui permet de respirer avant d’attaquer la suite.

On ne retiendra donc malheureusement pas grand-chose de ce métrage, production américaine on ne peut plus classique et attendue, pleine de faux-raccords mais dépourvue de personnalité, à l’instar de ces élans patriotiques consacrant la marque de fabrique d’un cinéma sans âme. Le scénario en est d’ailleurs tout un symbole : un encéphalogramme plat, avec de faux effets de suspense dont le caractère artificiel est tout à fait remarquable. Un exemple parmi cent, dans une scène étirée de manière insupportable et censée souligner l’hésitation de Kevin Kostner au moment de signer un contrat de rachat de son terrain : qui pense sincèrement qu’il va se résoudre à abandonner ses terres ? Personne.

Épilogue – Écouter "Ernestine", de Noir Désir.

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Coupe Sens Critique — manche 1a : www.senscritique.com/liste/LA_COUPE_SENSCRITIQUE_1ere_edition/405176
La critique de Jibest : http://www.senscritique.com/film/Jusqu_au_bout_du_reve/critique/31779986
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Morrinson
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le 28 mars 2014

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Morrinson

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