L’ouverture, présentant Louis dans un avion, de nuit, délivrant un monologue sur sa situation et ses appréhensions, permet d’emblée de saisir le côté solitaire de ce personnage, qui s’est très longtemps tenu éloigné de sa famille, qu’il compte retrouver une dernière fois. Le retour à la maison ne se passe cependant pas exactement comme prévu. Les autres semblent à fleur de peau, Louis se retrouve dans un microcosme qu’il ne comprend ni ne maîtrise, et écoute les histoires de chacun, les uns après les autres. Celui qui avait des mots à dire se retrouve silencieux, il devient l’observateur de ce groupe auquel il appartient de manière légitime, mais dont il est l’invité, dont il est presque un étranger, bloqué par sa difficulté à cerner tous leurs codes, à faire comme si de rien n’était. Mais les effets du temps, s’ils ne sont pas toujours faciles à anticiper ni à ressentir sur le court-terme, peuvent être dévastateurs.


En effet, Juste la fin du monde est surtout un film sur le temps. Le temps qui nous est imparti sur Terre, et qui file souvent trop vite, à toute vitesse, comme pour Louis, qui se sait déjà condamné alors qu’encore bien jeune. C’est aussi ce même temps qui semble s’être figé dans la maison familiale, avec les souvenirs, matériels ou non, qui demeurent, qui imprègnent les murs. C’est le temps que l’on a vécu ensemble et, surtout, celui que l’on n’a pas vécu ensemble, qui semble s’être définitivement perdu et avoir des conséquences irréversibles. Ici, Dolan exprime le vide créé par la séparation, le dialogue rompu, les ponts coupés que l’on n’arrive plus à reconstruire car abandonnés depuis trop longtemps, rendant quasiment impossible la réunion entre les deux bords. Pour Louis, rien n’a changé, mais pour les autres, si. Et c’est, probablement, quelque chose que nous avons toutes et tous connu au moins une fois lors d’un repas de famille, à un âge où l’on a quitté le domicile familial, et où on se rend compte que, malgré nous, on peut donner l’impression de devenir un étranger, auprès de ses proches ou de ses amis. C’est quelque chose que l’on peut retrouver dans d’autres films comme, pour citer un exemple de film que j’ai vu récemment, Trois souvenirs de ma jeunesse, d’Arnaud Desplechin.


Sur la forme, Juste la fin du monde ne m’a pas toujours rassuré, au contraire. La rencontre avec les différents personnages pouvait inquiéter quant au fait de les voir être écrasés par les acteurs qui les jouent, entre un Vincent Cassel écorché vif, une Léa Seydoux rebelle, une Nathalie Baye assumée, et une Marion Cotillard brave et naïve. Le risque du surjeu et du manque de naturel est permanent, et le film ne cesse d’être sur la corde raide, car il n’y a presque rien de pire, au cinéma, que de voir simplement des acteurs jouer et non des personnages prendre vie. On ressent, à ce sujet, aussi, le fait qu’il s’agisse d’une adaptation d’une pièce de théâtre, qui peut aussi avoir pour effet de faire d’un tel film du théâtre filmé. Cependant, après un temps d’acclimatation, les acteurs s’effacent pour laisser place à leurs personnages. Dolan, ici, ne surcharge pas son film, il privilégie une mise en scène proche de ses personnages, même très proche, au vu des très nombreux gros plans utilisés. Il choisit d’éviter les artifices, malgré quelques scènes un peu plus fantasmées, comme celle du souvenir de Louis avec Pierre, qui nous font nous rappeler qui est derrière la caméra. Mais le film propose quelques instants de grâce, notamment lorsque les images se lient avec la musique, laissant les mots des longs dialogues décanter, et le poids des souvenirs et des émotions retomber.


Il est vrai, et tout à fait compréhensible, que Juste la fin du monde ne fait pas l’unanimité. J’ai lu des retours très négatifs à son sujet. Je comprends et j’entends les reproches que l’on peut lui faire, bien que je ne les partage pas forcément. Dans les faits, mon immersion dans le film a été progressive, mais, à la fin, j’étais conquis. Car Dolan raconte, ici, des choses qui m’ont particulièrement touchées, qui me parlent, car je les ai moi-même vécues, j’ai retrouvé des situations familières qui m’ont aussi mené à me poser des questions. Le cinéaste a parfaitement su retranscrire les effets de l’éloignement, du temps qui passe, et m’émouvoir, notamment au terme d’un très beau final. C’est un film qui m’a beaucoup ému et personnellement touché, et ça, personne ne peut me l’enlever, comme dit la mère de Louis. Ça fait du bien d’être un peu secoué, de temps en temps.


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le 9 août 2019

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