L'idée de Zack Snyder était simple... et elle semble pourtant avoir été largement incomprise par la majorité des spectateurs. Tentons de résumer : il s'agissait de créer une alternative au Marvel Cinematic Universe susceptible de souligner les points forts des icônes issues du catalogue DC. Là où les films de la succursale de Disney seraient en toute bonne logique simples à comprendre/filmés comme des téléfilms et adressés à un public situé entre trois et huit ans – ainsi que les geeks ravis d'une occasion de faire régresser leur intellect jusqu'au stade où ils se sentent enfin à l'aise – ceux de la Distinguée Compétition joueraient la carte d'une apparence cinématographique sombre bâtie sur le caractère mythique des personnage qui ont lancé l'idée du super-héros dès 1938. N'oublions pas, au passage, que l'un des plus grands mensonges du monde du comic-book repose autour de cette idée que Marvel existe depuis à peu près autant de temps que Detective Comics. Le mythe est entretenu depuis des décennies par la propagande de la Maison des Idées afin d'éviter d'admettre que Timely – l'éditeur où Marvel s'achètera un passé par l'acquisition d'anciens personnages tels que le Submariner, Human Torch ou même Captain America – n'était qu'une start-up lancée en 1939 pour profiter du phénoménal succès de Superman et Batman. Par la force des choses, la compagnie fera faillite en 1950 ne sachant pas prendre le tournant d'une modernité où il ne suffisait plus de plagier les productions DC pour vendre du volume. Que voulez-vous, la Seconde Guerre Mondiale était passée et l'intégralité de l'industrie du Personnage Puissant en Collants voyait ses ventes s'écrouler. Je vous passerai le traditionnel couplet historique de trois paragraphes sur l'éclosion soudaine de nouvelles compagnies telles que Fawcett, EC et Charlton Comics qui se spécialiseront avec intelligence dans la production de bande-dessinées axées autour de thèmes résolument non super-héroïques tels que la romance où l'horreur. Elles seront d'ailleurs vite évincées dans l'une de ces fameuses Chasses aux Sorcières dont l'Amérique semble avoir le secret. Ce qui explique la présence de nos jours sur ce marché de deux éditeurs très spécialisés, de leurs ventes constamment en baisse et du monopole malingre qu'elles se partagent.


L'ironie de toute cette affaire repose en ce constat : Marvel n'existe que grâce à une révolution de l'esprit très swinging sixties mettant au centre de ses récits les motivations psychologiques de ses protagonistes. Pensez à Peter Parker tiraillé entre sa vie d'étudiant et sa responsabilité de surhomme. Ou à Bruce Banner tentant à tout prix de garder enseveli le monstre qui vit en lui car celui-ci risque – et cela même si ce n'est jamais vraiment le cas pour des raisons de bienséance – de tuer ceux et celles qui l'entourent. Une mince profondeur, faute d'un meilleur terme, qui est largement absente des comédies potaches que la compagnie s'efforce de produire à tire-larigot tant que le marché du cinéma grand public permet d'écouler les aventures de personnages de second rang à un public ravi qui n'a jamais entendu parler de leurs équivalents bidimensionnels. (Ce qui explique, pour prendre un exemple au hasard, le fait que Scott Lang est l'Ant-Man que vous avez le « plaisir » de voir au cinéma.) C'est cet argument dramaturgique léger que les productions DC ont tenté de ramener sur le devant de la scène avec des films comme Man of Steel ou Batman v Superman. Ce qui n'a pas plu aux gens, hein, ils voulaient l'Homme d'Acier des dessins-animés. Celui connu pour distancer une balle de fusil, sauter par-dessus des buildings où même s'avérer plus fort qu'une locomotive. Quel ne fut pas la surprise du public illettré international quand on lui proposa les aventures d'un Clark Kent bouleversé par son héritage Kryptonien, par son statut de dieu parmi les petits hommes, et de son compatriote violent venu détruire Metropolis. Choc ! Stupeur ! Ce n'était pas un cartoon de propagande des années quarante animé par le Studio Fleischer ! Comment osent-ils tenter de raconter une histoire épique utilisant les ressorts basiques de la psychologie humaine pour tenter de nous faire comprendre les motivations internes d'un dieu américain ? Mais où est la musique de John Williams ?! C'est une honte et je vais faire un VLOG pour revendiquer le fait que je suis trop stupide pour regarder un film pour enfant de douze ans ! Car, en fin de compte, telle est la différence entre les débuts des adaptations cinématographiques de l'univers DC et celles de Marvel : les films de Zack Snyder visaient un public juste un brin plus âgé. Vous savez, celui qui vient de commencer ce périlleux voyage d'une enfance où tout est magique vers la sourde douleur résolue de l'âge adulte. Celui, en somme, où l'on devient humain.


Ce statut – celui d'être humain - était d'ailleurs le thème central de Batman v Superman : peut-on faire confiance à un homme doté du pouvoir d'un dieu ? Un milliardaire brisé par la perte de ses parents au point de se cacher derrière un masque d'Halloween pour tabasser des loubards issus de milieux défavorisés peut-il faire confiance à autrui assez longtemps pour sauver sa ville ? Réponse en deux heures et demie de spectacle joué par des professionnels compétent filmés par des techniciens qui le sont tout autant. C'est simple, efficace, proche des comics par l'esprit. Gene Colan aurait été fier. On aura énormément de mal à me faire croire – car, comme vous le savez, je suis en fin de compte un sceptique – que tout ceci n'est pas fondamentalement mieux construit que le fameux plan Made in Marvel digne d'Ikea où un Méchant Anonyme menace des acteurs de troisième rang d'un rayon laser coloré en vomissant des douzaines de monstres en 3D sur des décors situés dans une ville cheap située dans les Pays de l'Est. Et pourtant, surprise, c'est en fin de compte ce plan qui a été sélectionné par Warner Bros. pour « sauver » Justice League des ambitions cinématographiques d'un Zack Snyder forcé de quitter ce projet en cours de route car il avait besoin d'un peu de temps pour se remettre du suicide de sa fille. Ce qui n'a rien de drôle, hein, mais me semble souligner avec aisance précisément ce que peut se targuer d'être le monde du cinéma. Or, pour peu que vous ayez suivi la débâcle Suicide Squad, vous aurez compris que les pontes de la compagnie construite par Bugs Bunny veulent impérativement que leurs produits super-héroïques adoptent un ton plus proche de celui, pourtant diamétralement opposé à ce qu'ils avaient mis en mouvement, des productions Marvel.


Pas de chance, leur folie a pris corps un bel après-midi quant il leur est venu à l'esprit d'engager Joss Whedon – fameux réalisateur de télévision connu pour des produits consensuels cute mais creux tels que Buffy ou Firefly – pour tenter de transformer leurs rushes en une copie conforme de son film Avengers. (Vous vous souvenez ? C'est celui où Hulk rencontre un Harry Dean Stanton à l'article de la mort et une blague s'ensuit, lolz.) Il est dur de définir précisément à quel point l'homme a mutilé l'affaire : les pontes du service communication de Warner Bros. ont brouillé les signaux en obligeant les stars du film à affirmer que décidément cette histoire où une métaphore christique basée autour de la renaissance de Superman permettait à six héros mythiques de se défaire d'un New God venu détruire la Terre... était en fait une comédie dès le stade de l'écriture. J'veux dire, ça semble logique. Le premier film nous informe que l'on est dans une version du monde réel où dieu existe et il est américain. Ce qui n'est pas du tout une référence à Watchmen. Le second le sacrifie dans des conditions douloureuses mais pourtant héroïques afin de sauver une planète qui le haït. Troisième étape : blagues faciles et autres calembours. Tout ceci parait parfaitement logique. Fichtre, je saigne soudain de l'oreille droite, que se passe-t-il ?!


Loin de moi l'envie de sous-entendre que le résultat de ce film est une parodie grotesque et malhabile de ce qui aurait pu être un film épique mettant en scène la plus grande équipe de super-héros de l'histoire de l'humanité. Ou d'insinuer que le fait de forcer Barry Allen dans le rôle de fanboy stupéfait que Peter Parker semble avoir assumé ces dernières années est une insulte au personnage. (Aux deux personnages, d'ailleurs, Parker est capable de considérablement mieux : il suffit de voir les films de Raimi tirés des années John Romita Sr. pour s'en convaincre.) Ni même que l'existence de ce film prouve avec aisance la stupidité des dirigeants paniqués d'une compagnie qui a détruit toute chance que son univers cinématographique puisse s'acquitter de l'arc narratif prévu depuis maintenant la moitié d'une décennie. Il serait d'ailleurs tout aussi excessif d'avancer que le fait de soudain convoiter un public qui n'a aucun intérêt pour votre produit tout en aliénant – oui, rien que ça – celui un brin plus cultivé niveau comics que vous aviez réussi à réunir autour de certains de vos produits est la marque d'une incompréhension fondamentale du marché actuel du cinéma. J'veux dire, loin de moi l'idée de le sous-entendre : cela tombe sous le sens et tout lecteur un brin lucide sera susceptible de le comprendre.

MaSQuEdePuSTA
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le 29 nov. 2017

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