Justice League, ou comment gâcher un potentiel cinématographique monstre

La sortie de la toute première réunion des super-héros les plus emblématiques de DC Comics n'était pas chose aisée, 5 ans après le blockbuster de l'équipe Marvel qui a su imposer sa supériorité sur grand écran en plusieurs films dans un univers cohérent, l'écurie de Batman se devait d'innover et de frapper fort, afin de contrer l’équipe d'Iron Man et proposer un divertissement qui tient la route tout en se démarquant de son concurrent.
La ligue des justiciers a t-elle fait son travail ?
On ne peut pas dire que oui...


Un contexte difficile et trop rapide
Tout d'abord, Justice League sort trop tôt, c'est un fait évident. Les bases de l'univers DC ne sont pas posées que le film envoie en pleine face un Clash of the Titans à l'envergure d'un épisode final de Game of Thrones ou d'un sixième opus de saga épique à la démesure titanesque.
Lorsque la Warner a décidé avec Zack Snyder de démarrer un projet ambitieux appelé "l'univers cinématographique DC" avec les héros correspondants, le studio avait pour objectif principal de renverser le monopole Marvel en recréant le même principe cinématographique, mais tout en le gardant original afin de ne pas faire en quelque sorte du plagiat. Mais si l'univers et les personnages sont bien différents entre les deux maisons, le registre et le matériau de base, c'est à dire le comics, reste le même, et le traitement au cinéma se doit d'être similaire.
Trois films, trois films seulement pour poser les bases de l'univers en question et mettre en scène une équipe de 6 super-héros dont chaque membre a une histoire qui lui est propre, Man of Steel, Batman v Superman, et Wonder Woman. En faisant l'impasse sur les défauts des films cités précédemment (surtout les deux derniers), les bases restent tout de même fragiles, trois personnages n'ont pas eu leur film solo afin de s'attacher à eux ainsi qu'à leur histoire, impossible donc de ressentir une quelconque empathie pour Cyborg ou Flash. Pour les connaisseurs en comics, ce problème n'est peut être pas important, mais le spectateur lambda se perd dans les détails, n'a pas de points d'appui, l'ensemble n'est pas cohérent.


L'action contre l'émotion
L'autre gros problème du film est malheureusement un problème d'envergure globale, qui touche toutes les productions de ce genre cinématographique et ce depuis des années : le troc de l'émotion contre l'action.
L'émotion est une notion dont la majorité des jeunes spectateurs d'aujourd'hui ne trouveraient pas d'utilité dans les films de super-héros. Mais celle ni n'a pas toujours été absente du registre, il suffit de se remémorer la trilogie Spider-Man de Sam Raimi pour se rendre compte que l'action à foison et les effets visuels dantesques ne sont pas les seules valeurs de ce genre, l'écriture des héros compte bien plus. C'est ce qui fait le gros point faible de Justice League et qui rejoint le premier problème du long-métrage, car l'absence de richesse d'écriture d'un personnage peut engendrer une représentation totalement à l'opposé sur grand écran de ce que le spectateur attend de son héros ou son héroïne, une coquille vide en quelque sorte.
Le choix des acteurs y est malheureusement pour beaucoup.
Un Aquaman stéréotypé au possible, véritable caricature du surfeur hippie à l'attitude cool, un Cyborg cliché du geek mal dans sa peau et replié sur lui même du fait de sa différence, une Wonder Woman qui, déjà affaiblie par un traitement limite lors de son film solo, est encore plus désavantagée et sexualisée au milieu de tous ces hommes puissants (sauf Flash), Batman, dont la grosse voix ne fait plus beaucoup d'effet, devenu une parodie de lui même, et Flash, dont les singeries qui se remarquent à deux kilomètres ne donnent même pas le sourire. On a donc affaire à une équipe décrédibilisée, avec des personnages sans aucune touche d'humour ou de sympathie, comme "déshumanisés" et robotisés, dont chacune de leurs actions est calculée sans aucune spontanéité ni présence d'un lien humain, dont chacune de leurs tirades est prévisible et ultra cliché, et cela donne l'impression que cette équipe évolue dans un monde parallèle, car on ne peut s'identifier à ces héros, ou avoir avec eux un quelconque attachement émotionnel.
Le Bad Guy est quant à lui, du même acabit que Doomsday, grisâtre créature difforme en images de synthèses, à l'apparence banale et non travaillée (de la couleur, des cheveux, s'il vous plait ?), aux motivations floues et au degré de méchanceté situé à 2 sur une échelle de 1 à 10 (10 représentant Le Joker, 1 représentant Mr. Freeze dans Batman et Robin...).
Le film déverse donc, comme son prédécesseur, dans une vaste bouillie visuelle, intense, par ses couleurs et ses explosions, mais sans aucune touche d'émotion afin d'humaniser un peu l'aventure et la rendre plus accessible.


De bonnes idées aux mauvais traitements
Une question lorsque l'on pense à Justice League, c'est comment gâcher un potentiel monstre à ce point, le potentiel de la résurrection de Superman par exemple. Un des (seuls) points forts de Batman v Superman était que le film avait eu le cran de prendre un risque : celui de faire mourir l'ange de Metropolis, un risque pris un peu trop tôt d'ailleurs, mais attrayant pour le développement d'une intrigue future. Alors que Justice League aurait pu continuer sur cette lancée et créer une trame intéressante sur le retour à la vie du Kryptonien, le back in life en question va finir au contraire par plonger le film dans le chaos. Superman, tel le messie au sein de la Ligue des Justiciers, va mettre le méchant (celui ci supposé s'être déjà battu contre les dieux, les amazones, les atlantes et tout le tralala) hors d'état de nuire en quelques minutes juste après sa renaissance, tel Obélix faisant face seul aux camps romains de Babaorum, Aquarium, Laudanum et Petibonum.
D'autres idées auraient pu être explorées afin de créer un univers complexe et intéressant, il suffit de revoir cette série qui a bercé ton enfance et qui te fait actuellement retomber dans une sorte de nostalgie ou de lire les BD pour se rendre compte que le potentiel des histoires de la firme DC Comics est énorme et aurait mérité un meilleur traitement sur grand écran, mais en prenant son temps, en instaurant des bases solides sur lesquelles édifier une mythologie ambitieuse portée par des personnages hauts en couleurs et en émotions.
On peut donc conclure que le problème numéro un du film, à savoir cette volonté d'aller trop vite, est la source des maux de Justice League, et de ses congénères.


Quant au ton et à l'atmosphère du film
Justice League, en plus d'un casting pas exceptionnel, d'une écriture pas très soignée, d'une B.O. mémorable à aucun moment et des effets visuels tape-à-l'oeil ne contribuant pas à rendre plus réaliste cette oeuvre, emploie un ton qui ne lui rend pas justice non plus. Ce ton déstabilise le spectateur de Batman v Superman, qui lui, avait opté pour une atmosphère sombre, un fond violent à l'opposé même de l'ambiance décomplexée des productions Marvel, un ton qui avait du charme, mais que l'on a pas retrouvé dans Suicide Squad (qui opte pour le sérieux décomplexé, ou le décomplexé sérieux, sous teinte fluo, enfin, quelque chose de pas très beau quoi...) ni dans Wonder Woman et donc, ni dans Justice League.
Est-ce la faute à Joss Whedon, qui a repris les rênes du film après Snyder et qui possède une patte moins accentuée sur ce ton là ? Ou celle des producteurs ? Peu importe non ? Le fait est, que par ce brusque changement de ton, le film se voit comme amputé, un peu comme un film bâtard, car la touche "Snyder" est tout de même présente dans certaines scènes (les dieux, le divin, la divinisation, les dieux, encore les dieux, bla bla bla...) mais dans d'autres, l'atmosphère du film se rapproche plus d'un Avengers ou d'un Les Gardiens de la Galaxie, en essayant (avec plus de mal que de bien) d'adopter un registre plus cool, plus "branché", en mettant de la couleur, et en insistant sur les pitreries de Flash par exemple.


Pour conclure



Je me sens étiré, comme du beurre qu'on aurait étalé sur une tartine trop grande.



Avait dit Bilbon Sacquet dans la Sainte Trilogie. Cette citation est en quelque sorte le reflet de l'adaptation qu'à connu le Hobbit, 350 pages retranscrites en trois films de trois heures chacun...question étirement, on est sur du poids lourd.
Mais quel rapport avec la suite des aventures de Batman et Superman ? Tout le contraire justement, car on peut dire que Justice League, c'est "un pot de Nutella entier sur une miche de pain", puisque en deux petites heures, on voit passer du potentiel gâché, des personnages démystifiés, de bonnes idées mal traitées, des scènes qui auraient pu être marquantes mais qui ne le sont pas.
La réunion de la ligue des justiciers n'est au final qu'une coquille vide, fade, un pâle reflet caricatural de nos héros favoris si profondément ancrés dans la Pop-Culture. Mais peut on s'en prendre au film en lui même qui, même raté, est bardé de bonnes intentions ? Ou alors au mode de production des films de ce genre, qui glorifient le spectacle visuel et le divertissement bourré d'action, quitte à oublier l'aspect humain derrière ?

Tom-Bombadil
3
Écrit par

Créée

le 9 févr. 2018

Critique lue 139 fois

Tom Bombadil

Écrit par

Critique lue 139 fois

D'autres avis sur Justice League

Justice League
CrèmeFuckingBrûlée
4

Journal intime de Batman : entrée n°1

Mercredi 15 novembre 2017 Oh là. Qu’est-ce qu’il s’est passé hier soir ? J’ai l’impression que Superman tient mon crâne entre ses mains tandis que Wonder Woman me donne des coups de pieds dans...

le 19 nov. 2017

121 j'aime

22

Justice League
Behind_the_Mask
7

Le DCmonde a-t-il besoin de Zack Snyder ?

Cher Zack, Accepte tout d'abord que je te présente mes condoléances. Perdre un enfant doit être une douleur au delà de l'imaginable. Car ce n'est pas dans l'ordre des choses, à l'évidence. Et alors...

le 15 nov. 2017

112 j'aime

25

Justice League
Sergent_Pepper
2

Les arcanes du blockbuster, chapitre 29

Sur la table en acajou, une corbeille en faïence blanche. Un rouleau de papier hygiénique, du désodorisant d’intérieur et quelques magazines people. -Je crois qu’il faudrait plus de vaisseaux...

le 23 févr. 2018

106 j'aime

14

Du même critique

Surfing With the Alien
Tom-Bombadil
8

Qui a dit que la musique instrumentale n'était pas de la musique ?

En 1987, le hard rock et le metal sont en plein âge d’or et le monde glorifie la guitare électrique (comme le font actuellement les jeunes...mais avec Jul) , tels le prouvent deux mastodontes de puta...

le 1 mars 2018

7 j'aime

2

Brain Salad Surgery
Tom-Bombadil
6

Chirurgie du cerveau sans anesthésie

En s'attaquant à Brain Salad Surgery, on ne sait pas à quoi on fait face, même en étant amateur de prog, car ce quatrième opus des zigotos de Emerson, Lake & Palmer n'est pas un album non, c'est...

le 11 déc. 2020

5 j'aime

La Ligne rouge
Tom-Bombadil
9

Malick à son zénith...

Personnellement j'ai approché Terrence Malick à l'inverse de la plupart des gens. J'ai commencé par The Tree of Life, puis je me suis intéressé à son revirement expérimental avec Knight of Cups...

le 29 sept. 2017

4 j'aime

1