Kaboom ou la mort du cinéma ?

Où va le cinéma ? C'est à peu près la question qu'a suscité, à n'en point douter, Kaboom à la sortie des salles. Mais en fait qu'est ce que le cinéma ? Un art ? Un média puissant ? Un vecteur de divertissement ? Un parc à mouton ? Ou alors, tout ça à la fois ?

Smith (Thomas Dekker), jeune étudiant, belle gueule, se cherche sexuellement, expérimente des nouvelles choses avec, à ses côtés, sa meilleurs amie Stella (Haley Bennett excellente). Il couche avec la belle London (l'actrice qui monte, Juno Temple) et fantasme sur son coloc, Thor, archétype du surfeur bodybuildé mais dépourvu d'appareil cérébral. Tout va pour le mieux sur le campus, lorsqu'au détour d'une soirée, Smith mange un space cookie et se fait vomir sur le pied par une inconnue. Et le film de basculer vers un mélange de thriller apocalyptique et de théorie du complot sous acides.

On ne sait pas si Araki l'était, sous acide, à l'écriture de ce film farfelu (le mot est faible), mais il nous aurait fallu peut-être quelques cachetons pour éviter de se perdre dans les méandres de cette bizarrerie. Gay, punk, la cinquantaine, l'américano-japonais Gregg Araki est au cinéma underground ce que James Cameron est au grand spectacle, à savoir une pointure. Son film, à le regarder de plus près, est tout sauf une comédie désenchantée. Araki revient à son sujet préféré, l'adolescence qu'il filme avec justesse, exaltant les questionnements prépubères de la sexualité, l'orientation de la vie, le passage de l'enfance au monde des adultes. Particulièrement stylisé, Kaboom est surtout marqué par un rythme très soutenu, ce qui permet, même si on ne comprend pas toujours, de ne pas s'ennuyer. Qui plus est quand l'humour est au rendez-vous avec moult repliques cultissimes comme « j'ai eu des frottis vaginaux qui ont duré plus longtemps !« .

Tout ceci n'est pourtant qu'un décor. Ce n'est pas un hasard si Araki a choisi le teen movie comme toile de fond. Campus reluisant, acteurs tous canons, portant des prénoms de série américaines, couleurs criardes, images HD, sexualité débridée et musique pop. En somme, ce qu'Hollywood produit à la pelle pour remplir les salles d'adolescents attardés. Mais le fil narratif de cette joyeuse comédie est très vite brouillé quand on se rend compte que Stella a une liaison avec une fille aux pouvoirs maléfiques (la sulfureuse Roxane Mesquida). Egalement lorsque la jeune fille rousse, celle des rêves de Smith, est retrouvée morte sans que personne ne semble s'alarmer. Ou les apparitions soudaines d'hommes à tête d'animaux dont on ne sait si elles sont réalités ou hallucinations. Et enfin, quand Araki nous balance des plans serrés de nourritures, se révélant entrailles et putréfaction, on comprend vite que le film n'est pas qu'une partie de jambe en l'air.

En citant David Lynch ou John Waters, faisant écho à Richard Kelly et Donny Darko, Araki nous donne à voir sexe, drogue et fin du monde comme allégorie du cinéma moderne. Il l'explicite dans une scène. Celle où Smith, au cinéma, regarde Un chien andalou de Buñuel et la fameuse scène de l'œil tranché au rasoir. La voix off de Smith retentit : « Etudier le cinéma, c'est un truc que je veux faire depuis toujours. Même si c'est un peu anachronique. Même si on peu se demander si le cinéma tel qu'on le connait existera encore dans les prochaines années. C'est comme consacrer sa vie à l'étude d'un animal qui est en voie d'extinction ». Le spectateur n'est donc pas le seul à se poser la question du destin du cinéma. En dynamitant les codes de l'industrie Hollywoodienne, Araki nous raconte en même temps son cinéma à lui. La dernière demi-heure et l'accélération finale très lynchienne, véritable apothéose de confusion et d'absurde, dévoile son envie de tout envoyer dans le décor.

Si, à d'autres niveaux de lecture, ce Kaboom (expression anglaise pour BadaBoom) évoque également le choc brutal que provoque le passage à l'âge adulte, il n'en est pas un moins un manifeste critique de la direction que prend le cinéma, courant à sa propre destruction par autant de « petites morts » qui pullulent dans les salles obscures.

Youn

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Youn
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le 8 avr. 2011

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