Quand l'ombre est un pilier qu'on fait s'écrouler.

Je vous préviens : l'intrigue se dévoile et c'est mon premier Kurosawa.

Quand on chasse le Kagemusha, quand on le bannit comme un chien, qu'on lui jette des pierres, tout s'écroule pour lui comme pour le clan. Sa position de substitut lui apporte une certaine stabilité et rend la survie du clan Takeda possible. Quand la montagne bouge... Le Kagemusha est un homme mis dans une position difficile. Des nobles le déplace sur l'échiquier des apparences pour éviter la déconfiture et il accepte, mais longtemps, son rôle le terrorise. Il finit par prendre un semblant d'assurance à force et par s'attacher à "son" petit fils, mais, bien sûr on lui arrache tout. La dernière bataille montre très bien son apport au clan et la vulnérabilité du monsieur, sa tristesse, maintenant qu'il joue plus les seigneurs. Être un autre, s'effacer devant un mort et sa position, c'est tout ce qu'il pouvait faire de bien et il finit par en avoir besoin. Ça ressemble fort à un discours sur le jeu d'acteur aussi ; faut pas oublier que c'est ce que le Kagemusha est entre une représentation de théâtre Nô (autre clin d'oeil) et une bataille. Il se laisse diriger, mais improvise quand il le faut ; le succès de la supercherie dépend de sa relative docilité et de son talent, comme c'est souvent le cas au cinéma (j'ai tendance à tout ramener à la métafiction, je trouve). Bref, pour ce côté-là, chapeau.

Après, le film a eu un effet soporifique sur moi. Beaucoup de longs plans fixes et un récit rythmé au compte-goutte. Ça refuse d'avancer. La première scène dure cinq minutes, peut-être plus : trois hommes assis se parlent ; la caméra est tellement loin d'eux qu'on peine à voir leurs lèvres bouger ; et c'est sans compter le rire forcé du futur personnificateur de Shingen (qui réussit quand même à avoir l'air défait et apeuré de façon convaincante ; les courts moments où il démontre un peu de puissance et de contrôle sont bien aussi).

Je suppose que mon rendez-vous avec Clavell et son Shogun a conditionné mon appréciation de l'histoire et du long métrage en général. La trame est moins complexe ici (elle me semble toutefois empreinte de plus de profondeur), mais on reconnaît le genre : une histoire de pouvoir et de tromperie entre nobles japonais au XVIe siècle. On ajoute tout au plus quelques affrontements armées et ça y est. Je crois que j'ai un problème avec le décorum que supposent l'époque et la civilisation en question (ou que je crois qu'elles supposent) : ça englue tout. Ça m'a l'air assez bien rendu, mais on marche clairement dans la boue quand même.

Aussi, contrairement à bien des gens, j'ai pas trouvé la photographie fantastique, mais je saurais pas trop dire pourquoi. Des plans enthousiasmants, mais un ensemble qui m'a semblé fade. La lumière, peut-être (ce qui est insignifiant parce qu'un film, c'est avant tout de la lumière...)

Sinon, les affrontements sur le champ de bataille m'ont pas convaincu. À la fin, c'est mieux, par contre (même si insister autant sur des corps finit par lasser : longuet). On reste à l'extérieur, on voit les forces en présence se déployer comme si les généraux s'étaient dit : "Let's compare dick size !", mais après, rien. La caméra est éloignée, les sabots des chevaux sont étouffés : on a l'impression d'être à des kilomètres et de regarder ça à travers une longue vue.

Enfin, tout ça pour dire que ça m'a pas convaincu. Je suis resté de marbre et j'ai dû lutter pour garder l'œil ouvert (être borgne est un rêve d'enfance). Je peux néanmoins admettre que la lenteur du film rend bien la patience des stratèges, leur méticulosité : la guerre, ça se planifie, ça demande réflexion et on doit pas trop se presser, mais un peu, quand même, parce que l'ennemi menace d'arriver bientôt avec sa lance pour nous dérouler l'intestin et s'amuser avec le reste de nos entrailles. Ça sert aussi évidemment à imposer la station de la montagne, de qui dépend l'équilibre des quatre forces. Preuve à l'appui : "Guard our domain. Never move from it. Do not move! If you ignore my order and set out to attack, our Takeda clan will be no more." Le kagemusha se doit d'être "un monolithe de calme", exactement comme Shingen.

Donc, voilà, je veux bien reconnaître la nécessité des pas de tortue du montage, de la fixité, etc. et de ce que tout ça reflètent, mais au visionnement, j'ai bloqué.

Peut-être que c'est le genre de film auquel il faut laisser plusieurs chances. Je verrai. En attendant, j'ai envie de jouer à La tour infernale.
Megillah
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le 16 janv. 2011

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Megillah

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