Bénédicte Deswarte, thésarde en sociologie, part au Japon pour une étude de terrain au début des années 1970.
Yann le Masson, brillant chef-opérateur tombé fou amoureux d'elle pendant les événements de Mai 68, l'y rejoint.
Équipés d'une caméra Éclair 16mm, d'un magnétophone et d'un peu de maille, ils filment leur voyage.
Installés dans le village de Takei, ils constatent l'oppression des investisseurs et des trusts que subissent les paysans de la région ; Mitsubishi y fait construire un vaste complexe pétrochimique pendant qu'à quelques kilomètres, de violents affrontements ont lieu entre l'Etat et les agriculteurs dans le cadre de la construction de l'aéroport international de Narita.


Kashima Paradise propose un portrait sociologique de la ruralité Japonaise du début des années 70.
Les documentaristes s'arrêtent un moment sur le Giri, un devoir d'obligation qui pousse le destinataire d'un cadeau à offrir un cadeau en retour. Alors que les castes supérieures se défendent de la lutte sociale par un système hiérarchique qui évacuerait la question des classes et ferait des Kami les seuls vrais maîtres, le Giri, qui semblait être un cercle vertueux, s’accommode en vérité très bien du système capitaliste.
Plus on fait de cadeaux, plus on reçoit d'obligations : ainsi, petits politiciens et investisseurs immobiliers fructifient tandis que jeunes mariées, étudiants, personnes endeuillées et travailleurs s'y soumettent, tant bien que mal, pour ne pas être mis au ban par les plus riches des familles.


Le Masson cadre toujours au plus près, au cœur de son sujet, caméra au poing, extension de son bras armé, sans dispositif, sans armatures. Si la défense du territoire de Narita dans une bataille qui opposa les gardes mobiles aux paysans soutenus par le Zengakuren - syndicat étudiant d'extrême gauche - s'étala sur plusieurs mois et fit de nombreux blessés, le montage final de Kashima Paradise laisse voir, par un impressionnant jeu de prises de vues à mi-chemin d'Eisenstein et de Kurosawa, une interminable journée de bataille rangée. Et tandis que les agriculteurs sont engagés dans une lutte pour la défense de leurs intérêts sans réelle motivation politique, les auteurs, à la façon du Zengakuren, ont à cœur de se confronter à une machinerie qui heurte leur convictions.


C'est ici que le documentaire semble montrer ses limites : certains raccourcis - l'inénarrable opposition tradition / modernité bille en tête – sont usants et maladroits ; le discours, partial et envolé, donne l'impression de faire face à une oeuvre de jeunesse satisfaite d'avoir trouvé une opportunité propagandiste à explorer. La prise de recul, absente, laisse place à un traitement viscéral, à une pellicule sculptée sur le fil du sabre.
Curieusement, le sentiment d'avoir affaire à un film daté ne dénote pas sa cruelle actualité. Reste un documentaire sincère et impressionnant dont Chris Marker commente, avec le lyrisme militant dont il avait le secret, la superbe photographie et l'inventivité plastique.

MathieuAubry
8
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le 29 nov. 2018

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Zeph' Hareng

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