Imbécile, ça ne fait que commencer !

Premier vrai gros succès cinématographique de Kitano au Japon, Kids Return sortira deux ans après le grave accident de moto de ce dernier.
A peine 5 longs métrages à son actif, et était-il déjà fini ?
Non, il venait à peine de commencer.


Kids Return, c’est l’histoire de deux lycéens : de leur passage à l’âge adulte, et surtout de leur profonde amitié. Le film se divise pratiquement en deux parties égales. La première où nous les suivons ensemble au lycée, la seconde où ils se séparent afin de poursuivre chacun leur voie.


Petits délinquants et racketteurs occasionnels, sans réel but dans la vie, le premier préjugé qu’on peut porter sur ces personnages est que Masaru serait le leader et Shinji le suiveur. Pas besoin d’avancer très loin dans l’histoire pour se rendre compte qu’ils n’entretiennent pas du tout une relation de dominant à dominé, comme en témoigne la jolie scène de running où chacun essaie de dépasser (et je dirais même « hisser ») l’autre. Non, ce sont bel et bien deux véritables amis qui cherchent leur place dans le monde. Ce sera la boxe pour Shinji, et les yakuzas pour Masaru.


On retrouve ici beaucoup d’ingrédients Kitanesques de la grande époque des années 90 :



  • Des plans statiques et des mises en scène millimétrées. Décidément, le réalisateur sait encadrer ses films, comme le peintre qu’il est.

  • Des dialogues épurés à l’extrême. Les situations sont plus importantes que ce que les personnages peuvent se raconter. Pas d’effusion de sentimentalisme. Ça me va parfaitement.

  • Une palette de couleurs sourdes/pastel, qui contribuent à cette touche de poésie propre à Kitano, même dans ses films les plus violents.

  • Une BO bien mordante signée Joe Hisaishi, comme on en a peu l’habitude, et qui résonne bien avec ce feu qui anime les deux amis.


Sans vouloir trop en révéler, je dirais simplement que ces deux personnages chutent aussi vite qu’ils montent, et ce à cause des mêmes démons de leur jeunesse. Même devenus adultes, Masaru est toujours trop impulsif, Shinji est toujours trop influençable, et c’est précisément cela qui les perdra.


A ce propos : mention spéciale pour les deux jeunes acteurs principaux Ken Kaneko (Masaru) et Masanobu Ando (Shinji), dont la beauté et le charisme crèvent l’écran. Ils sont vraiment l’essence de ce film, et Ken Kaneko en particulier est très crédible dans son rôle de petit caïd.


En arrière-plan, des personnages secondaires qui finissent tragiquement et d’autres au contraire qui s’épanouissent. Peu importe en définitive, tous ces destins accessoires semblent comme dilués dans l’histoire principale pour les rendre tous égaux, tous aussi importants les uns que les autres.


Kids Return, c’est aussi l’histoire d’un échec. On ressent beaucoup de nostalgie dans ce film, comme un concentré des regrets de jeunesse du réalisateur, jeunesse qu’il semble revisiter à la fois avec bienveillance et désillusion. Si le message que Kitano a voulu faire passer avec ce film, d’après ses propres dires, est qu’un échec reste un échec, pourquoi un tel souffle d’optimisme alors ? Pourquoi un tel coup de poing en guise de fin ? Pourquoi un tel titre ?


Peut-être Masaru est-il annonciateur de ce vieux yakuza tombé en disgrâce, qui hantera nombre de ses films ?


Peut-être est-ce aussi une ode à la jeunesse et aux espoirs qu’elle nourrit pour son avenir ?


En tous cas, un film qui parlera aux « petites gens » et qui changera la vision qu’on peut avoir de sa propre vie. Pour cela, Kids Return reste un de mes préférés de Kitano.


« Masaru, tu crois que c’est fini pour nous ? »

« Imbécile, ça ne fait que commencer ! »

-Elle
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le 22 mars 2020

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