C'est avec Kill Bill : Volume 1 que je commence ma rétrospective visant à redécouvrir quatre films du cinéaste américain : le diptyque Kill Bill, Inglourious Basterds et Django Unchained.
Ce film, je pense que plus je le vois, plus je l'apprécie. La dernière fois remonte à il y a peut-être quatre ans (et à l'époque je l'avais déjà vu un certain nombre de fois). Et en quatre ans il se passe énormément de choses, notamment une vision du cinéma qui évolue. C'est donc presque avec un regard neuf qu'aujourd'hui je redécouvre ce premier volume de Kill Bill. A moins que ce ne soit avec un regard plus observateur et des oreilles davantage alertes. Et c'est peut-être finalement pour ça que je l'ai plus apprécié qu’auparavant. Car cette première partie du diptyque est non seulement une expérience de cinéma mais également une expérience sensorielle.
Si les précédents films de l'ami Quentin avaient marqué toute une génération par l'audace de leur scénario, la fraîcheur de leur mise en scène, leurs personnages tant comiques que charismatiques, un amour non dissimulée au multiples facettes de la pop culture et par un sens particulièrement affûté des dialogues et des monologues, sa quatrième œuvre est certainement celle qui aura repris toutes ces caractéristiques pour les amplifier davantage et les porter à un certain paroxysme, peut-être dans le but d'atteindre, à travers un exercice de style baroque particulièrement vertigineux et ambitieux, un idéal tant cinématographique que sensoriel. Cette volonté se démarque à la fois dans son scénario et dans sa mise en scène. Le scénario reprend une nouvelle fois le procédé de la narration non linéaire si chère au cinéaste, procédé qui , paradoxalement à son principe, lui servira à faire évoluer son film avec une certaine fluidité, et ce, dans l'enchaînement rythmé de séquences exposant sans le moindre complexe et avec la plus vive des satisfactions et une surenchère outrancière (pléonasme je sais) l'éducation culturelle d'un cinéphile qui se fait ici le garant d'une pop culture, tant asiatique qu'américaine, tant musicale que cinématographique. Le scénario n'aurait cependant eu que peu d'intérêts s'il n'avait pas été mis en valeur par une mise en scène aussi inspirée (à moins que ce ne soit le scénario qui mette en valeur la mise en scène : en l'espèce, je tends à croire que penser l'un revient à penser l'autre car le scénario du film EST sa mise en scène et inversement...). Celle-ci fait preuve d'un sens de la démesure formelle absolument saisissante et d'une recherche visuelle qui élèverait presque le film à une certaine forme de cinéma expérimental dans sa profonde volonté à rechercher la création d'un plaisir intense de l'instant présent, et ce, à travers une utilisation de la grammaire cinématographique qui se permet toutes les folies : plans-séquence profondément élaborées, fondus-enchaînés d'une grande originalité, une utilisation du hors-champ franchement marquée,un recours à l'animation très bien utilisée, une explosion de couleurs qui esthétisent le film à un niveau très élevé tout en alternant occasionnellement avec des séquences d'un noir et blanc aussi lumineux que bien pensé, une maîtrise sonore très référencée (aussi bien d'un point de vue purement musical que d'un aspect plus technique), une alternance saisissante entre gros plans et plans d'ensemble, voix-off, images arrêtées, split-screen particulièrement mémorable, etc. (dans l'idée, ça pourrait facilement être comparé à du De Palma). Bref. La liste est non exhaustive mais traduit bien le fourmillements de détails et la richesse visuelle dont le film, chef d’œuvre de montage, fait preuve, instigateur d'une fascination mêlée à un profond respect devant le tourbillon visuel et la symphonie exacerbés mais bien pensés qui s'offrent à nos yeux et à nos oreilles et avec lesquels, le cinéaste, virtuose des assimilations culturelles étranges, construit une entité de cinéma hybride mais cohérente. Il s'agit là de la plus grande force du film mais sûrement aussi de sa plus grande faiblesse car, au bout du compte, peu de choses sont franchement développées dans ce bordel si bien pensé et tout semble conçu pour ne provoquer qu'un plaisir immédiat mais éphémère, qui s'éteint aussitôt le film fini. En fin de compte, Tarantino n'est qu'un enfant prenant plaisir à consommer des sucreries, plaisir qu'il a souhaité faire partagé avec ce film, qui n'est au final rien de plus qu'un bonbon qui, en tant que tel, procure un bien-être (cinéphilique) intense mais n'ayant pas vocation à perdurer (indépendamment bien sûr du cliffhanger qui annonce sa suite). Mais le plus beau dans tout ça, c'est que c'est une faiblesse qui s'assume. Et c'est tout ce qui importe.