William Friedkin, bien connu du grand public pour French Connection et L’Exorciste, n’avait pas tourné depuis 2006 et Bug avec Ashley Judd et (déjà) Michael Shannon. Mais absence ne signifie pas manque d’inspiration.
Il revient en effet après cette longue absence avec un film grandiose.

Nous sommes aux Etats Unis, au Texas plus précisément et nous nous intéressons à une famille sans argent. Le genre à vivre en caravane, à avoir un énorme chien qui aboye sur tout ce qui bouge, à vivre de rien, un peu n’importe comment et à s’en foutre, à part si ça concerne les dollars ou le cul. Famille recomposée puisque la mère a laissé le père avec deux enfants devenus adultes, un gamin qui fait des conneries et une fille un peu étrange, un peu allumée et tellement innocente dans ce monde.
Dans ce genre de milieu, on ne prend de pincettes avec rien. Alors quand l’argent vient trop à manquer, le fils propose d’engager un tueur pour tuer … sa propre mère. Elle a une assurance vie qui couvrira tout, notamment la thune que demande Killer Joe.
Mais comme ils ne pourront pas payer d’avance, Joe -un flic qui arrondit ses fins de mois en tuant des gens- va demander une caution : Dottie, la jeune fille innocente. Et c’est là que tout va déraper.

Si la construction est parfaitement linéaire, si le film est bien réalisé sans trop en faire par un Friedkin en forme, la grande qualité vient de l’explosion des codes. Comme il le précise lui-même, “la frontière entre le bien et le mal est ténue, et nous portons tous en nous le germe du mal”. Il suffit de s’arrêter sur le physique des personnages pour comprendre qu’on est pas face à un film comme un autre : le tueur est beau, bien sapé et souriant. Il a tout de l’apparence du gentil. Quand à la famille dont il est question, elle aurait plutôt sa place du coté des méchants. Et même là, les choses ne sont pas si simples puisque Killer Joe est un film où il parait difficile de prendre parti : même si on peut considérer le personnage d’Emile Hirsch comme “le gentil” de l’histoire, il prend quand même la décision de faire abattre sa propre mère et laisse sa propre soeur coucher avec le tueur.
Difficile de choisir son camps, rien n’est ni blanc ni noir.

Ce pan de la société américaine, qu’on pourrait croire caricatural mais qui est sûrement très réel, est incarné par une pléiade d’acteurs de hauts vols. Thomas Haden Church et Gina Gershon font du bon boulot. Emile Hirsch prouve une nouvelle fois qu’il mériterait plus de grands rôles au cinéma. Mais la palme revient au “couple” formé par Juno Temple et Matthew McConaughey.
Dottie d’abord, blanche, pure, innocente, naïve, très éloignée de l’univers dans lequel elle vit est incarnée par une Juno Temple qui brule la pellicule. Sensuelle, troublante, perturbante, l’actrice dont la carrière au cinéma ne fait que démarrer met la misère à nombre de comédiennes récentes.
Quand à Matthew McConaughey… Il est surprenant, à plus d’un titre. Le comédien livre une prestation de fou. Tout en retenue, en sobriété, il parvient à être inquiétant, glaçant, flippant jusqu’à mériter une place dans un classement des grands méchants du cinéma. J’avoue que le comédien -plutôt beau gosse souriant à la carrière moyenne- me laissait de marbre… jusqu’à maintenant. Un peu à la manière d’un Heath Ledger dans The Dark Knight.

Malsain, le film l’est assurément. Jusque dans sa mise en scène d’ailleurs puisque William Friedkin n’hésite pas à nous faire entendre des rires de jeune fille lors de l’explosion de la voiture contenant le corps de la mère à assassiner. Mais le point d’orgue du film est sans doute une scène impliquant du poulet frit. D’abord très violente, elle crée vite chez le spectateur un sentiment de malaise uniquement dû aux dialogues et à la mise en scène. Vous ne regarderez plus un nugget de fastfood de la même manière après Killer Joe.

Le cinéma est un lieu où il fait bon vivre des sensations. Rire, larmes, cri, sursaut, joie, tristesse. Killer Joe est surtout brutal, malsain mais ne laisse aucunement indifférent. Pas sûr que tout le monde l’apprécie, à cause de son coté cash, de sa violence presqu’issue du quotidien.
Et pourtant, grâce au talent de son metteur en scène et à la galerie de personnages campés par d’incroyables acteurs, Killer Joe est un des meilleurs films que vous verrez cette année.
cloneweb
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le 31 août 2012

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