Avec son fantastique Bug, William Friedkin prouvait qu'il était encore là. Il confirme avec Killer Joe, dont le sujet est beaucoup plus classique, mais le traitement tout aussi efficace. Associé à nouveau à l'auteur et scénariste Tracy Letts, Friedkin nous plonge dans une Amérique aussi désespérante que profonde, à travers un récit puisant ses racines au cœur de la tragédie antique, et s'inscrivant dans la grande tradition littéraire et cinématographique américaine, celle des loosers pas vraiment magnifiques.

Ici la figure froide et perverse du tueur s'oppose à une famille aussi vile que misérable (qui n'a de famille que le nom - d'où la perfection de la dernière scène de dîner) dans une tragi-comédie à l'issue dramatique. En "s'associant" à Joe Cooper, les Smith mettent le doigt dans une mécanique qui va tout autant les dépasser que les entraîner vers le fond. De léger, le film devient pesant, avant de virer au drame. Meilleur encore dans le mélange des genres que les frères Coen ou Tarantino, Friedkin réalise avec Killer Joe une sorte de film parfait dont la maîtrise nous éblouit à chaque plan.

L'intelligence de l'écriture est servie par une mise en scène d'une précision infaillible : pas une image à retirer, pas une séquence à discuter (si ce n'est la toute dernière seconde). Ce qui est drôle est hilarant, ce qui est dramatique est bouleversant, ce qui est violent est insoutenable, ce qui est dérangeant est troublant, mais sans aucune surenchère, sans racolage, sans esbroufe. La maîtrise de Friedkin est là pour servir son récit, pas pour se mettre en avant. Parfaitement rythmé et mis en musique, Killer Joe est une leçon de mise en scène qui devrait trouver sa place dans toute école de cinéma digne de ce nom.

Il n'y a évidemment rien à dire côté interprétation. Thomas Haden Church et Gina Gershon excellent en couple improbable (lui en abruti patenté, elle en salope magnifique), Emile Hirsch est parfait en frère dépassé, et Matthew McConaughey glaçant en réinterprétation sexuée du pasteur de La nuit du chasseur. Face à toutes ces pathétiques figures, Juno Temple compose une fausse naïve et vraie cinglée avec une impressionnante maîtrise.

Du grand cinéma.
pierreAfeu
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le 23 sept. 2012

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pierreAfeu

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