Travailler ou être mère, le choix cruel des Sud-Coréennes

Ce film émouvant est l’adaptation du roman de Cho Nam-Joo, Il raconte l'histoire d'une sud-coréenne confrontée au regard sexiste de son pays.


Le pays du matin calme … pas si calme que cela. Les groupes de kpop, tenues extravagantes (parfois sexy) aux couleurs acidulées, exécutent des chorégraphies millimétrées sur des rythmes endiablés (et/ou sensuels). Ceux qui associent la société coréenne à cette image aux semblants occidentaux font fausse route. CQFD : l’habit ne fait pas le moine. Sous ses airs de modernité, se cachent une nation confucéenne ancrée dans ses traditions ancestrales, où le patriarcat en dicte certains codes. N’oublions pas que la Corée du Sud, au sortir de la guerre de la Corée (1950-1953), était l’un des pays les pauvres au monde. Une croissance exceptionnelle au cours de la seconde moitié du XXème siècle, en a fait l’une des puissances économiques que l’on connait aujourd’hui.


Avec délicatesse, le réalisateur nous embarque dans le quotidien de cette jeune maman. Sa vie actuelle défile sous nos yeux, où ses années passées refont surface avec nostalgie sous les différentes casquettes qu’elle a endossées. Et ce, pour mieux comprendre son état actuel psychologique. Depuis qu’elle est mère au foyer, une situation d'impuissance et de souffrance totale l’envahissent. Son mal-être se traduit par une dépression post partum.
Comme bon nombre de ses compatriotes (nb. dont certaines sont des femmes brillantes au parcours prestigieux), elle a dû mettre un terme à sa carrière professionnelle dès la naissance du premier enfant, cédant sous le poids des contraintes sociétales et exigences familiales.


Les souvenirs de son premier émoi professionnel restent vifs, et lui font prendre conscience que sa vie d’antan de femme active lui manque : son épanouissement passe également par un «métier». Elle désire ardemment reprendre le chemin du travail mais se rend compte que c'est un parcours semé d’embûches incompatible avec son rôle de mère. Les causes en sont multiples : longues journées de travail, manque de structures de garde, etc …
Le regard au sein de l’entreprise n’est pas tendre à l'égard des mères sous forme de remarques machistes du quotidien, rabaissantes, pesantes et péjoratives, dans le pire des cas, destructrices.


La pression familiale est un autre facteur qui pèse lourd dans la balance. L’héroïne est entourée d’un époux bienveillant, interprété par l’excellent Gong Yoo. Il dégage une telle douceur au naturel, ce rôle lui est taillé sur mesure. Il doit braver seul ce tourment affectif, en se heurtant à deux obstacles majeurs :
- Le non dit de toute une société : tout signe de faiblesse est malvenu dans cette culture où l’apparence est primordiale.
- L’hostilité de sa mère qui reste butée sur ces convictions (également celles de la société) : la place d’une mère est au foyer, l’homme quant à lui, à la lourde tâche de subvenir aux besoins financiers de sa famille.


Loin d'être isolé, son cas illustre parfaitement les raisons pour lesquelles les Sud-Coréennes hésitent à se marier et à faire des enfants. Depuis 2005, le gouvernement fait tout pour inverser la tendance. De nouvelles mesures ont été mises en place, comme le fait de raboter d'une heure par jour la journée de travail des parents de jeunes enfants, la construction de crèches supplémentaires, les hommes sont autorisés à prendre dix jours de congé paternité (contre trois aujourd'hui). Sans succès, le taux de natalité du pays, parmi les plus faibles du monde, recule encore.


Bercée depuis mon enfance par la culture vietnamienne, je constate de nombreuses similitudes. Ce statut de femme dévouée à sa famille est ancré dans l’éducation asiatique. Des valeurs patriarcales, profondément enracinées, sont présentées avec véracité dans le film : les garçons sont mis sur un piédestal, tandis que les filles reléguées au second plan, sont assignées d’office aux tâches ménagères. Je n’ai pas pu m’empêcher de sourire (jaune) à des situations que j’ai vécues comme l’héroïne, au sein de ma famille. Ceci dit, le changement se fait doucement mais sûrement. Les nouvelles générations (dont je fais partie) bénéficient du soutien des parents pour être indépendante à travers une carrière professionnelle.


Pour conclure sur une note glaciale, le film comme le roman ont provoqué une vague d’insultes sexistes. Des célébrités ont même été victimes de cyberharcèlement pour l’avoir défendu. Selon de récentes études, les Sud-Coréens entre 20 et 30 ans se montrent plus misogynes que la génération des 30-40 ans. Ces tensions entre les sexes sont exacerbées par un marché du travail toujours plus compétitif, et par la hausse du taux de chômage des jeunes. Dans le milieu professionnel, les hommes doivent désormais faire face à la concurrence grandissante des femmes, ce qui ne convient guère à certains, qui affirment par exemple que le service militaire long et obligatoire pour les hommes constitue une discrimination.


Les réseaux sociaux (omniprésents chez les coréens avec une force de pouvoir non négligeable) jouent un rôle prépondérant dans l’aggravation de ces tensions. Les commentaires misogynes s’y répandent et se banalisent. En attestent, en autres, l’inégalité de traitement des célébrités femmes-hommes dans la presse lorsqu’un scandale éclate, ceci est un autre débat …

Julhee
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le 26 avr. 2021

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