Cela faisait des années que Peter Jackson nourrissait l’ambition de réaliser un remake du King Kong (1933) de Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack, comme un rêve de cinéphile qui n’aurait jamais pu aboutir au début de sa carrière. Or, fraîchement auréolé par le succès incroyable qu’a connu sa trilogie du Seigneur des Anneaux, ce rêve était à présent à portée de main. Autrefois perçu comme un enfant terrible au ton relativement subversif, Jackson était finalement devenu l’une des figures de proue du blockbuster, et un artiste plébiscité par le système hollywoodien. Alors, lorsqu’il se fait savoir que la dernière poule aux œufs d’or se lance dans un remake du King Kong de 1933, l’excitation devient palpable, que ce soit chez les cinéphiles, comme chez les producteurs. Un budget colossal de plus de 200 millions de dollars (soit environ le même budget que Titanic ou Spider-man 2) se voit donc débloqué pour la concrétisation du projet, permettant alors à Jackson de réaliser le film qu’il a toujours voulu réaliser.


A New York, en 1930, les temps sont durs pour chacun. La jeune Ann Darrow se voit être au chômage suite à la fermeture du théâtre dans lequel elle travaillait. Cherchant désespérément un nouveau travail, proche de celui qu’elle effectuait au théâtre, elle va alors tomber sur Carl Denham, un réalisateur extrêmement ambitieux qui souhaite réaliser un film dans un endroit bien précis : l’île du Crâne. Seulement, les producteurs n’ayant pas particulièrement apprécié l’idée de Denham de tourner sur une île mystérieuse jamais explorée, celui-ci se met en tête de tourner son film sans l’aval de ces messieurs. Il propose donc à Ann un rôle dans son film, en lui faisant croire qu’ils s’apprêtent à tourner, non pas au sein de l’île du Crâne, mais à Singapour. Ann accepte finalement le travail et embarque avec Carl, ainsi que tout un tas d’autres personnages, sur le bateau qui les mènera à cette île, sans savoir qu’ils s’apprêtent à vivre le voyage le plus dangereux de toute leur carrière.


Munie d’un casting cinq étoiles, composé entre autres de Naomi Watts, Jack Black, Adrien Brody, Thomas Kretschmann, ou encore Andy Serkins, qui interprète le gorille géant du titre par le biais de la capture de mouvement, le film de Jackson impressionne avant tout par sa démesure. Bien que certains fonds verts et effets spéciaux soient quelque peu datés, on ne peut que saluer le travail de reconstitution qui a été effectué afin de recréer un New York des années 30 crédible. C’est également dans son aspect de pur divertissement que le film brille : les scènes de bravoure se multiplient (cette scène de combat contre les T-Rex, haletante), la réalisation très dynamique parvient à mettre en valeur l’immensité de ses décors, de ses monstres et du choc que cela implique, l’humour est efficace, et le rythme est parfaitement géré, ce qui n’est pas un mince exploit puisque l’on parle d’un film d’une durée de 3h07. A vrai dire, Jackson cherche tellement la démesure qu’il en vient à intégrer peut-être trop d’éléments visuels au sein de son long-métrage, à l’image de ces nombreux effets de ralenti qui parsèment le récit et qui, à mon sens, ne rajoute rien à l’ambiance générale. On note également que King Kong réduit les effusions de sang au minimum, sans doute afin de rester dans les clous en ce qui concernait le blockbuster grand public, même si cela n’empêche pas certaines scènes d’être véritablement inconfortables.


L’amour que Jackson porte à l’éventail de personnages qu’il met en place se fait également sentir à travers le film. C’est là une capacité qu’il a toujours eu : développer, au sein de son récit, un nombre de personnages impressionnant tout en parvenant à les rendre attachants auprès du spectateur. Si, avec ce King Kong, certains personnages passent quelque peu à la trappe, la plupart bénéficient d’un développement solide. Durant toute la première partie du récit, qui dure près d’une heure, Jackson prend le temps de s’intéresser à chacun et de créer peu à peu une véritable cohésion et quelques relations intéressantes qui s’opèrent entre les personnages.


Mais très vite, dès lors que l’équipage débarque sur l’île du Crâne, le récit abandonne cette légèreté de ton pour faire plonger le spectateur dans un roller coaster cauchemardesque et palpitant. Et cette plongée, elle se manifeste par cette scène de tuerie opérée par les indigènes de l’île vis-à-vis des membres de l’équipage : ici, bien que l’on n’échappe toujours pas aux effets de ralenti putassiers, Jackson met en scène une pure scène de film d’horreur, multipliant les mises à mort, faisant basculer son film du divertissement inoffensif au véritable survival aux dangers démesurés. A terme, la meilleure partie du film, pour moi, sera celle se déroulant sur l’île, car elle parvient à susciter un certain mystère vis-à-vis des secrets qui se cachent sur celle-ci. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que le film fait explicitement référence au livre Au cœur des ténèbres (1899) de Joseph Conrad, que Coppola adaptera pour son mythique Apocalypse Now (1979) : les personnages s’enfoncent peu à peu en terrain hostile, dans cette jungle qui ne regorge que de secrets qu’ils n’auraient jamais voulu découvrir.


On peut rapprocher ce King Kong du film culte de Spielberg, Jurassic Park (1993), car ils laissent tous deux déborder un certain amour de leur réalisateur vis-à-vis du cinéma, mais également pour la ressemblance thématique que le personnage de Denham et celui de John Hammond, le créateur du fameux parc, entretiennent : ce sont là deux hommes très enthousiastes, probablement trop, qui ne vivent que par le prisme de leur création et de leur potentiel succès, sans même qu’ils parviennent à se rendre compte que leur échec est assuré. De ces créateurs, de ces artistes aveugles, découlera leur dernière et, néanmoins, leur plus terrible œuvre.


Finalement, même s’il paraît indéniable que le film de Jackson a tendance à privilégier le grand spectacle à la crédibilité de son récit, le récit regorgeant de deus ex machina en tout genre et de facilités, voire de redondances d’écriture quelque peu pénibles (la pauvre Ann semble être condamnée au statut de demoiselle en détresse), cette version de 2005 parvient tout de même à se présenter comme un digne successeur du film de 1933. A la fois fidèle à la version précédente et moderne dans son exécution, King Kong ne se veut pas comme une révolution mais comme un pur divertissement généreux et efficace. Et cette générosité, cette extravagance dans ses visuels, au point de parfois trop surligner ses effets, c’est précisément ce qui caractérise l’œuvre de Jackson.

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le 18 janv. 2021

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Swann

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