Je poursuis ma rétrospective des neuf films King Kong avec cette troisième étape : le crossover King Kong contre Godzilla. Troisième film King Kong donc, mais aussi troisième film Godzilla et accessoirement premier opus en couleur pour chacune de ces deux franchises. Rien que ça ! Mais comment diable en arrive-t-on à faire se mettre sur la gueule ces deux monstres mythiques ? Eh bien remontons un peu le temps :


Nous sommes en 1958. Willis O'Brien, le fameux pionnier des effets spéciaux à l’œuvre sur le tout aussi fameux King Kong de 1933, mais aussi le largement moins fameux Fils de Kong la même année, a en tête un nouveau film à la gloire du roi de l’île du Crâne : un crossover avec un monstre de Frankenstein géant. Quelle drôle d’idée, me direz-vous… Assurément, vous répondrai-je, n’empêche que le projet obtient le feu vert de la RKO. Sauf que pas de chance, la major hollywoodienne est dissoute l’année suivante ! Ce vilain contretemps n’aura toutefois pas la peau du projet, qui, après maints changements de titre et changements de mains, finit sur le bureau des cols blancs de la Toho, désireux depuis longtemps semble-t-il de s’offrir un film King Kong.


Bien décidés à marquer le coup pour les 30 ans de leur boîte de prod, les Japonais décident quant à eux de remplacer le monstre de Frankenstein géant initialement prévu par leur bébé perso : Godzilla. Le film sera ainsi un crossover entre les deux mastodontes. Un projet qui file naturellement la gerbe au papa de King Kong, Merian C. Cooper, qui tente alors de le bloquer… mais en vain, puisqu’il n’est pas le seul détenteur légal du personnage ! Willis O'Brien fera la gueule à son tour lorsque son homologue japonais Eiji Tsuburaya lui expliquera que, plutôt que la stop-motion employée sur les deux premiers King Kong, jugée ici trop coûteuse, la technique retenue pour animer les deux monstres sera celle utilisée sur les deux premiers Godzilla – à savoir des acteurs en costume.


Bref : Merian C. Cooper est dégoûté, Willis O'Brien aussi, le spectateur de goût bientôt, mais qu’importe : réalisé par Ishirō Honda – l’homme déjà derrière le premier film Godzilla –, le film sort comme prévu à l’été 62 sur l’archipel nippon, dans une version de 97 minutes (celle que j’ai vue), puis un an plus tard aux USA, dans une version raccourcie de 91 minutes, puis enfin treize ans plus tard en France – pas de chance – dans une version qui serait encore un peu plus courte. Considérant les durées en jeu, on se dirigera naturellement vers la version nippone…


Bon et du coup ça vaut quoi, ce premier match King Kong vs Godzilla ? Eh bien, hélas, c’est plutôt de la merde.


Si le crédo de son prédécesseur simiesque consistait en un aussi simple que tragique « si tu ne peux pas faire plus gros, fais plus rigolo » (dixit sa scénariste Ruth Rose), le crédo de celui-ci tient plutôt en un cynique « multiplier les monstres, c'est multiplier les recettes » (son producteur Tomoyuki Tanaka). Le bonhomme a certes eu le nez creux, puisque le film sera un putain de carton, mais le résultat est tout de même un gâchis complet.


Quoique je confesse une tendresse sincère et du coup une préférence certaine pour la stop-motion des deux premiers films, j’étais ma foi tout à fait disposé à passer un délicieux moment aux côtés de ce King Kong en costume – à qui je trouve volontiers un certain charme malgré sa nouvelle apparence pas des plus flatteuses (la Toho se serait vu imposer par la RKO de changer l’apparence du grand singe, ce qui expliquerait ce relooking inspiré du macaque japonais plutôt que du gorille) – mais le personnage est vraiment trop pauvrement exploité ici. Comme son camarade japonais, Kong n’est finalement pas si présent que ça à l’écran ; et si je ne me risquerai pas à une estimation de leur temps d’apparition respectif, je crois pouvoir affirmer que la réponse ne serait assurément pas brillante.


Alors on a bien droit à un affrontement en milieu de film entre Kong et le poulpe géant Oodako (pour sa première apparition) histoire de relancer l’attention pour le second acte – qui verra d’abord un affrontement avorté entre Kong et Godzilla puis enfin l’affrontement final tant attendu – mais dieu que le film se traîne et meuble éhontément sa malheureuse heure et demie… qui du coup en semble deux. Plus que du combat de monstres, on se farcit du remplissage avec des humains dont on se bat royalement les couilles (un écueil récurrent du genre) et qui allonge artificiellement le film. Alors les bondophiles – dont je suis – auront le plaisir de reconnaître Akiko Wakabayashi et Mie Hama (aka les deux James Bond girls de On ne vit que deux fois) en copines des deux héros mais bon… ça ne justifie hélas pas le visionnage. Si encore les deux nanas avaient le premier rôle, on aurait pu discuter, mais là, on se tape leurs copains relous, donc ce n’est juste pas intéressant.


Mentionnons tout de même quelques bruitages et musiques plaisants, du blackface par des Japonais (mais est-ce que ça compte, du coup ?), un passage sympa qui voit Kong capturer une jolie pépée avant de grimper au sommet du plus haut bâtiment du coin (clin d’œil clin d’œil) et enfin le fait que le film ait le bon gout de définir un vainqueur (même si le perdant rugit à la toute fin, il y a bien vainqueur). C’est à peu près tout et c’est bien léger… et bien trop dilué dans du remplissage d’humains sans intérêt.


Bref… si le second film Kong était très décevant et laissait un goût amer en bouche, la légende n’est clairement pas revigorée avec ce crossover moisi. Qui a certes pour lui de ne pas peiner/frustrer autant que Le Fils de Kong mais qui n’en est hélas pas plus recommandable pour autant.


Un avis qui n’a semble-t-il pas été celui des cols blancs de la Toho, puisque ces derniers remettront le couvert cinq ans plus tard pour le tout aussi mauvais La Revanche de King Kong. Qui le verra cette fois-ci affronter le terrible Mechani-Kong.


Kong et Godzilla, eux, se rencontreront de nouveau dans le film Godzilla vs Kong en 2021. Pour un résultat guère plus convaincant.

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le 3 déc. 2021

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