Après l’excellent Mustang, j’avais hâte de découvrir la vision de Deniz Gamze Ergüven d’une Amérique hantée par ses démons. Le fait que Kings arrive à point nommé juste après le Détroit de Bigelow prolonge ainsi la chronologie d’un pays toujours en proie au racisme ; il répond donc encore plus à l’actualité.
Kings commence d’ailleurs sur les chapeaux de roues, inscrivant son film dans une tonalité brutale tout en respectant son thème de prédilection, l’adolescence.
Pourtant, très vite, il y a quelque chose qui ne colle pas : déstabilisé par un montage hasardeux, le spectateur oscille entre rêve et réalité sans parvenir à s’imprégner de la violence du moment. On sent l’envie de bien faire ; par ces images d’archive la réalisatrice remet sans arrêt le propos au cœur de son histoire pour mieux papillonner sur ses envies à elle : celle d’une cellule familiale et d’une romance. La famille décousue mais réaliste est, en soit, une bonne approche ; surtout dans le portrait d’une mère aimante recueillant tous les enfants du quartier chez elle, alternant boulot et amour malgré son absence répétée auprès des enfants. Par contre, la relation avec Daniel Craig prend une tournure des plus étranges, symbolisé par un rêve érotique, et la scène du lampadaire achèvera les faibles palpitations d’une tension.
Car le cœur du sujet reste tout de même cette confrontation avec la police, transformant Los Angeles en une zone de non droit. Que la réalisatrice la contourne est une approche intéressante mais la tension dénoncée perd alors tout son propos.
Du coup, on pense forcément à Detroit, qui lui arrivait à maintenir une tension tout au long du film, jusqu’à dépasser la neutralité que prône généralement Bigelow pour montrer la violence du propos. Ergüven élude quand à elle, préférant les images d’archive pour étayer l’injustice, la montée de la violence jusque dans cette scène surréaliste en voiture où les fumigènes remplacent la violence ambiante.
Kings n’est pas dénué d’intérêt, même si la réalisation propose des formes différentes, tant dans sa légèreté que dans le point de vue des enfants, le film permet une autre approche ; mais le sujet est tel qu’on attend l’uppercut, surtout après Detroit.