Le cinéma de Malick est un cinéma omniscient, il sait tout, il voit tout, croise les narrations et les personnages, passe d'un monde à l'autre, de la forêt au désert, de la ville à l'océan, de la terre à l'espace. Sur le plan de la mise en scène cela se traduit par une caméra qui bouge sans cesse, qui s'imnisce partout, épouse les courbes des chemins, les pas des personnages. Le film c'est la caméra qui le fait. Ce ne sont pas les personnages qui passent devant et qui animent la scène. Seul le regard de la caméra compte. Cela se traduit par des gros plans sur les dos des personnages car la caméra "marche" derrière eux, la caméra est quasiment eux, mais garde une distance, pudique, observatrice. Elle peut être cruelle, effectue des contre-plongée, des vrilles, des retournements, et puis tout un tas de plans entrecoupés d'images de mers, de canyons, de montagnes, comme si la caméra voyait aussi tout un monde extérieur qu'elle met en relation. C'est la caméra de Terrence Malick qui anime, seule, le monde. Elle le fait, elle l'enfante.


Knight of Cups n'est pas un film comme les autres. En quelques plans vous en connaissez l'auteur. Malick filme toujours la même chose, ressasse les mêmes obsessions mais enrichit à chaque fois ses angles, son esthétique, sa photographie, comme si, à force de condenser tant de pensée, de regards et d'images il allait finir par répondre à la question qu'il se pose depuis toujours - depuis The Tree of life en particulier. Qu'est-ce que la vie ? Rien que ça. Un programme divin. Le scénario n'est que peu compréhensible, il s'évacue en arrière-plan, comme s'il n'était qu'un prétexte. On comprend le destin du personnage qui vit dans une sorte d'errance où les femmes sont autant de conquêtes qui conduisent inexorablement à l'impasse. Le comble c'est d'évacuer aussi vite Natalie Portman, à peine présente plus de vingt minutes à l'écran. Preuve que même les plus belles femmes et les plus grandes actrices, dans le cinéma de Malick ne sont qu'au service d'un dessein bien supérieur à celui du commun des mortels. C'est une quête escathologique.


Le film enchaîne les plans. Il arrive comme ça, dans la vie d'un scénariste d'Hollywood, filme ses frasques, sa famille, son intimité. Il n'y a pas de sens à la quête du héros. C'est une vie, comme une autre. Lui-même estime avoir raté la sienne, par sa voix intérieure qui entre en dialogue avec celle de son père. Tout commence par ce conte raconté par le père à son fils quand il était petit : un prince allait en Egypte chercher une coupe mais avait oublié de rentrer chez lui, parce qu'il s'était fait endormir, manipulé par les égyptiens. Alors le père lui écrivait des lettres pour le rappeler à la vie, envoyait des émissaires, des guildes, mais le fils, le chevalier à la coupe, était toujours endormi, indolent. Et voilà que la vie s'enchaîne que les années passent, que les échecs s'ammoncellent. Un mariage raté, un enfant qu'il n'a jamais eu que l'argent et les conquêtes d'un soir n'ont jamais compensé. Puis il y a tout ces egarements de la vie de famille, ce frère suicidé et disparu, cet autre frère en rupture de banc, ce père seul et triste, cette mère tendre et absente, ce travail vide de sens, cette vie d'alcool, de nightclub, de strass et de paillette. Alors Christian Bale, remarquablement silencieux, comme s'il n'était que le spectateur et commentateur de sa propre vie - on ne l'entend parler directement que deux ou trois fois erre, vagabonde dans l'Amérique californienne. Il commente, extérieure lui-même, spectateur de sa propre déchéance. Malick dépersonnalise. La fable est universelle, Bale n'est qu'un homme parmi les autres. Ca le dépasse. A la fin, il semble trouver la réponse : partir. S'ouvre une route, filmée sous le crépuscule des dieux, orangée, chemin vers la rémission et le paradis.


Terrence Malick est le cinéaste du divin. Il est cet homme qui vous fait sortir de la caverne pour observer d'un coup d'oeil toute l'immensité de l'univers. Il est cet intermédiaire, ce passeur de relais entre l'être humain et l'absolu. Son cinéma est fabuleux, époustouflant. Même cette Amérique bling-bling, des appartements luxueux de Santa Monica aux casinos de Las Vegas, il parvient à la magnifier. Les villas sont des palais pour les chevaliers, les discothèques, les temples des Muses du héros, les piscines, des mers où se prélassent les naïades. Malick c'est la voie de l'omniscience et du mystère du monde qu'il nous ouvre, qu'importe qu'on soit troublé, qu'on ne comprenne pas tout, qu'on ne trouve pas tout parfait, qu'on est dans l'expectative. On ressort du fim interloqué, étrange, déboussolé. Qu'importe que son film n'en soit presque plus un. C'est beau. C'est tout ce qui compte. L'expérience de l'altérité et de l'infinie beauté du monde.

Tom_Ab
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le 1 mai 2016

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Tom_Ab

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