Analyse symbolique de Knight of Cups (Garantie 100% avec Spoilers)

Knight of Cups - Analyse symbolique


Les longs métrages de Terrence Malick, aussi beau puissent-ils être, existent essentiellement par leur volonté de transmettre un message. Ils contiennent un fond si dense qu’il faudrait l’érudition pour en saisir toute la portée. Cette seconde lecture, se mêlant souvent habilement à la première, est accessible grâce aux innombrables symboles placés tout le long du film. De là découle tout l’intérêt de les décrypter; la véritable compréhension de l’oeuvre passe par leur entendement. Si “La Ligne Rouge” ou “Le Nouveau Monde” comprenaient déjà une grande dimension symbolique et donc mystique, ils n’en abandonnaient pas pour autant la narration classique d’une histoire linéaire. Knight of Cups et les deux films qui le précèdent (“the Tree of Life” et “A la merveille”) jouissent eux d’une forme très particulière de par leur montage éclaté semblable à des souvenirs, propice à la méditation, mettant le symbole en valeur, ils poussent le spectateur à entrer en lui même pour comprendre ce qu’il perçoit de l’extérieur. D’où cette disparité dans les critiques: entres ceux s’ayant plu à l’exercice et ceux l’ayant rejeté en bloc. L’objet de cette étude est de déchiffrer, avec les éléments à disposition, les symboles utilisés par Malick dans Knight of Cups en se basant sur les deux traditions dans lesquelles il puise ses inspirations: le Christianisme et la Kabbale.
En parlant de symboles au cinéma, on peut en distinguer grossièrement deux catégories: les symboles contextuels, n’ont de sens que dans le contexte où ils sont placés, en général le film lui même, et le perdent dans le monde réel (la toupie dans Inception par exemple), et les symboles réels qui, eux, font appel à l’histoire, à la philosophie et parfois à la religion (comme la croix svastika). Malick use adroitement de ces deux sortes pour exhiber son propos.
Beaucoup de concepts métaphysique et religieux, frôlant souvent le syncrétisme, vont être abordés ici, ils n’ont aucunement pour fonction de frustrer le lecteur dans ses convictions et n’ont pour seule vocation que de proposer une interprétation qui ne se veut ni absolue ni définitive.


La structure


knight of Cups est découpé en 9 parties distinctes, chacune se voyant rattachée une carte du Tarot. Dans la Kabbale, le nombre 9 exprime la fin d’un cycle car il y a neuf chiffres qui se mélangent pour donner les séries de nombres suivants. Le découpage en 9 parties suggère que le film raconte un cycle complet.
L’utilisation du Tarot n’entre pas ici dans sa fonction prédictive (sauf dans une scène en particulier) mais dans sa fonction descriptive, il ne sert qu’à nommer, à préciser l’étape dans laquelle se trouve le récit. Sa nature polysémique lui permet de désigner à la fois un état de conscience, une situation et un personnage. De cette manière chaque partie est une rencontre du protagoniste avec un personnage avec qui il partage, la plupart du temps, un lien sentimental. La carte du Tarot associée va désigner la personnalité de cette rencontre, la situation de Rick vis à vis d’elle et ce qu’elle lui apporte intérieurement. Car, comme le film nous le fait comprendre à plusieurs reprises, rien n’est laissé au hasard; chacun est “un ange, un guide” pour les autres.
On notera que le choix du réalisateur ne s’est pas porté sur le Tarot de Marseille mais sur la version de Waite: le Rider Waite Smith pour son étroite parenté avec la kabbale.


Le casting


Rick, le personnage principal est incarné par Christian Bale. Le choix de l’acteur n’est pas anodin. Bale et Malick avaient déjà collaboré sur “Le Nouveau Monde” et éprouvaient le désir mutuel de réitérer l’expérience. Depuis, Bale a joué dans “Exodus: Gods and Kings” de Ridley Scott interprétant Moïse ce qui, dans le ce cas précis, trouvera tout son sens. Enfin, et c’est une théorie qui sera étayée ultérieurement, l’acteur aurait été choisi pour sa proximité physique avec Sean Pean établissant ainsi un lien avec the Tree of Life.
Le reste du casting sera présenté au fur et à mesure de son apparition chronologique. Toutefois il convient de s’attarder sur la présence d’un acteur qui est passé quasi-inaperçu tant il a su rester discret: Ben Kingsley. L’acteur n’a fait que prêter sa voix pour donner vie au père, non pas le père physique mais le père intérieur: Dieu. Là réside le tour de force, sa voix se confond aisément avec celle de Brian Dennehy (qui joue Joseph, père biologique de Rick). Deux personnages distincts qui s’assimilent l’un-l’autre alors qu’ils occupent deux fonctions opposées. Rick a donc deux pères, deux guides paternels, l’un à l’extérieur de lui et l’autre à l’intérieur.


La quête


Le film raconte l’histoire d’une quête, une voyage spirituel que doit accomplir Rick. Cette quête est énoncée par Dieu (Ben Kingsley donc): Le roi de l’est envoya son fils, le prince, un chevalier (de Coupes) à l’ouest en Egypte pour trouver une perle. A son arrivée les gens lui offrirent une coupe qui lui fit perdre la mémoire. Il oublia alors toute sa mission et son origine. Toutefois le roi ne désespéra pas et envoya périodiquement des messagers et des guides pour lui rendre la mémoire.
Cette histoire se veut une allégorie de la condition de l’homme dans le monde physique. Inconscient de son pouvoir, amnésique, l’homme ne parvient pas à se souvenir de sa constitution divine, il ne saisit pas l’étendue de son égarement. C’est un pêcheur.
On lui devine une triple inspiration: la carte du Chevalier de Coupes (Knight of Cups) du Tarot de Waite qui contient à peu près tous les éléments que le film va mettre en scène, le roman “Le voyage du pèlerin” du britannique John Bunyan (1678) auquel il est explicitement fait allusion à diverses reprises tout au long du film, et le texte gnostique “Le chant de la Perle” extrait des “Actes de Thomas”.
Par ailleurs cette histoire a un fort lien de parenté avec l’Exode biblique pour ne pas dire qu’elle lui fait directement référence comme le film le confirmera en plusieurs occurrences.
L’exégétique kabbalistique comprend la bible non pas littéralement mais comme une représentation métaphorique du fonctionnement de l’univers et de Dieu. Dans cette optique l’Exode n’y échappe pas. La kabbale distingue trois niveaux de conscience: la subconscience qui contient l’information inconsciente, une sorte de “patrimoine de l’humanité”, la conscience qui s’incarne par l’identité et la super-conscience qui serait l’être omniscient de l’homme, une partie de Dieu lui-même (ou le dieu intérieur). La philosophie “new age” a repris le concept sous les noms de “Moi basique”, “Moi conscient” et “Moi supérieur”. On peut objecter que ce n’est pas une abstraction purement ésotérique puisque l’on retrouve cette trinité dans les grands monothéismes.
Traditionnellement, l’eau représente la subconscience. Les Égyptiens surnommaient leur pays “Kemet” qui signifie “le pays de la terre noire” en raison du limon noir (boue) déposé par les crues du Nil. L’eau impure, boueuse, venait recouvrir l’eau pure et transparente ainsi que toutes les terres qu’il l’entouraient. On peut donc assimiler l’Egypte à la subconscience. L’assujettissement du peuple hébreu au peuple égyptien représente la domination de la subconscience sur la conscience.
En quoi est-ce négatif ? Pourquoi faut-il sortir d’Egypte ? La subconscience (sous le conscient) contient des préjugés et des modes de fonctionnements négatifs (ou positifs) qui influent sur le conscient. Expliquer leur formation pourrait faire l’objet d’une étude complète, c’est pourquoi il serait déplacé d’aborder ces concepts ici. Le subconscient empêche la conscience de fonctionner librement, elle se transforme en entrave plutôt qu’en ressource. La conscience est privée de son véritable pouvoir, elle vit un exil. Moïse, qui signifie littéralement “le sauvé des eaux” est choisi pour guider son peuple, ou lui même, vers la terre promise en se libérant de l’emprise égyptienne. Il passera par la mer rouge en ouvrant les eaux, dénotant de son contrôle sur son subconscient, puis fera passer son peuple par 40 années de voyage dans le désert. Un voyage que Rick entreprend lui aussi, dans le désert, comme pour confirmer l’analogie.


La musique


Les références à l’exode ne s’arrêtent pas là. Si Hanan Townshend est crédité à la composition de la bande originale, Malick garde l’habitude d’utiliser des oeuvres musicales tout registre confondu pour accompagner sa réalisation.
Le “thème principale” du film est constitué par le morceau “Exodus” composé par Wojciech Kilar (1932-2013) en 1981, un compositeur célèbre pour ses musiques de film mais aussi pour ses compositions symphoniques tels “Krzesany” (qui signifie: “en escaladant les montagnes” en polonais), comme toujours rien n’est laissé au hasard…
Le thème apparaît dans les phases d’illustration de l’exode de Rick, lorsque l'hédonisme et le matérialisme ont pris le dessus. Ce sont généralement les séquences de fêtes et d’assouvissement charnel, laissant un Rick profondément malheureux sans raison apparente. Le morceau original dure pratiquement 24 minutes, mais dans le film seules les premières minutes se font entendre puis il est systématiquement coupé. Sauf lors de l’apparition du générique où il est laissé quelques minutes de plus, laissant développer le thème et informant de l’avancée de Rick sur son chemin intérieur. Il est sur la route vers la terre promise.
Un autre thème emblématique est la “Fantaisie sur un thème de Thomas Tallis” par Ralph Vaughan Williams qui survient pour appuyer l’exposition de la quête de Rick.


Les Étapes


Il serait beaucoup trop long de commenter la signification de tous les plans et symboles bardés d’animaux, costumes, couleurs, et autres éléments. Il faudra donc se contenter de la trame principale.


I - Knight of Cups
Chevalier de Coupes


Le film s’ouvre sur une homélie: un sermon de messe. Il sert à mettre en place la métaphore de l’exode comme recherche de l’au-delà. Il faut accorder de l’importance à une expression en particulier: “Chercher dieu en Jésus” c’est chercher dieu dans son incarnation physique, dans l’homme, c’est à dire en soi. Ce petit discours introductif expose la clef essentielle à la compréhension du long métrage; il s’agira d’une quête intérieure comparable à celle d’un pèlerin, mais imagée.
On peut ensuite observer Rick dans un désert, lieu qui servira de repère tout le long du film pour illustrer sa position sur le chemin de l’illumination. La position de Rick n’est pas sans rappeler celle de la carte du Fou dans le tarot de Waite. Il cherche l’ascension mais tourne le dos au soleil, le point culminant, parce qu’il est encore trop abstrait aux yeux de Rick.
Suit l’exposition de la quête par le père intérieur sur des images de fête accompagné de la pièce musicale de Wojciech Kilar. Mais également sur une vague qui noie le spectateur, ne lui laissant pas voir la surface. L’eau de la mer est sombre, il s’agit de l’influence négative du subconscient sur la vie de Rick. Il le dit lui-même: “Toute ma vie, j’ai vécu dans la peau de quelqu’un que je ne connais même pas”.
Après le Rick fêtard et le Rick coureur de jupon, un troisième Rick se dévoile: solitaire, contemplatif, philosophe. Il cherche la lumière comme celle au bout du tunnel. Dans la solitude de la recherche il perçoit son existence, pourtant bien faste, comme un fardeau…
Dieu tient parole, il lui envoi un premier messager, un avertissement pour qu’il prenne conscience qu’il doit se réveiller de son long sommeil. “L’intrigue” commence donc sur un tremblement de terre qui extirpe Rick de son assoupissement. Au vu de l’intensité du message, ce n’était probablement pas le premier.
“Tu vois les palmiers ? Ils te disent que tu peux faire ce que tu veux, être ce que tu veux”. Les palmiers représentent la ville de Los Angeles, l’Egypte, la prison de Rick puisqu’il n’en sortira que pour aller à Las Vegas (dont la signification est proche) et dans sa nouvelle demeure à la fin du film. Los Angeles est la ville du rêve, ce qui fait directement écho au travail de Rick: scénariste, c’est un créatif. Il est le Cavalier de Coupe. La famille des coupes symbolise l’affectivité, la créativité, les rencontres et la vie intérieure. Quatre ingrédients qui seront très présents tout le long du film. L’élément qui lui est associé est l’eau, c’est pourquoi on peut en observer à de très nombreuses reprises sous diverses formes. Le cavalier signifie le changement, l’évolution. Le dessin de la carte interpelle tant il correspond à ce que l’on peut voir dans KoC: un chevalier tenant fièrement une coupe, il semble chargé d’une mission importante. Il est accoutré d’une armure et d’un vêtement où sont gravés poissons et rivières. Sur son casque ainsi qu’à ses pieds: deux ailes, non sans rappeler les chaussures portés par le dieu grec Hermès. Au loin un désert, des palmiers, des montagne et un fleuve…
La voix de Brian Dennehy, père biologique, prend le relais pour expliquer la frustration familial que Rick porte en lui: “Tu es exactement comme je suis, un pèlerin sur cette terre, un étranger”. On peut rapprocher ce personnage de Lamech, de la lignée de Caïn qui conçoit son fils, Tubal-Caïn, pour se sauver (“J’ai engendré un homme pour ma guérison”). Rick doit poursuivre la quête que son père n’a pas su mener à bien.
On aura remarqué quelques courts passages à la plage, un lieu qui servira de repère dans les influences que subit Rick. Car la plage est l’interface entre la mer et la terre, entre la subconscience et l’expérience, elle permet de se rendre compte de l’état de la connexion entres les deux et de l’éventuelle domination d’un élément sur l’autre.


II - The Moon
La Lune


La lune caractérise la rencontre, la spontanéité témoignant d’une connexion importante avec son subconscient bien qu’encore inaccomplie.

L’entrée de Della (Imogen Poots) dans la vie de Rick se fait par un plongeon dans l’eau, elle incarne cette lune et va métamorphoser la vision qu’à Rick de la vie. Elle remarque sa tendance mélancolique et méditative et lui assène un “Réveille toi”.
La figure de l’homme et de la femme que Malick dépeint est purement symbolique et reprend les stéréotypes de l’Eden; l’homme a la mission de se souvenir et de prendre conscience du pouvoir qui l’habite, il ne peut cependant y arriver seul. La femme, plus connectée est sensée l’y aider. Néanmoins, si la connexion est parasitée, c’est la subconscience qui prend le pas sur la conscience comme le limon noir d’Egypte. Dans ce but, les conquêtes de Rick, telles Della oscillent sans cesse entre illumination et égarement, elles ont croqué la pomme de la connaissance au sens de l'expérience. Elles sont bloquées entre le monde matériel et le monde spirituel.
Tous deux vont vivre une relation passionnelle basée sur la jouissance. Cette relation, bien qu’ontologiquement erronée, débute d’ouvrir les yeux de Rick sur sa mission. En témoigne la scène de l’aquarium où Rick contemple le fond de l’océan, admirant la création et découvrant le lieu où il doit entamer la recherche de la perle.
Mais il est encore trop contrefait par ce qu’il croit être la réalité et Della le lui fait remarquer: “Tu ne veux pas d’amour, tu veux une expérience d’amour”. Phrase concrétisant un monde régi par une société de consommation dont Rick n’est que le triste produit. Cette tare sera motif à séparation: “Nous sommes destinés à autre chose” justifie Della en simplicité. Sa fonction dans la vie de Rick étant achevée, elle sort du cadre comme le ferons tous les personnages lorsqu’ils sortiront de la vie de Rick.
Rick, perdu, commence à chercher sa voie. Il se rend chez une voyante pour se faire dire la bonne aventure. Il obtient un tirage de 5 cartes: le Chevalier de Coupes, le Soleil, le Fou, Le Pendu, et l'Étoile.
Le Chevalier de Coupes: représente le voyage par l’eau, une personnalité de rêveur sensible et lunatique qui a peur de l’engagement. Il incarne également le moment du flux émotionnel et de combat pour le nivellement par le haut ou par le bas. En d’autres termes c’est le changement intérieur.
Soleil: Bonheur, Joie, Succès.
Fou: Début du voyage, aventure, expérience, innocence.
Pendu: Contemplation, méditation, nouvelle perspective. “Il marche, il contemple”.
Etoile: Espoir, souhait, guérison, calme.
On peut interpréter le tirage de cette manière: Rick est le Chevalier, il veut atteindre le soleil. Il entame un voyage qui se fera par trois étapes: le début du voyage (le Fou), le retour sur soi (le Pendu) et la paix intérieure (l’Etoile).
À partir de ce moment il sait qu’il y a quelque chose de supérieur et qu’il veut le trouver. “Quand te rencontrerais-je ? Comment je commence ?”. Impatient, il pense que les réponses lui tomberont du ciel alors qu’il est encore sous l’emprise des aspects négatifs du subconscient; il est toujours dans l’eau. Dans le désert, il s’arrête pour fixer un buisson qu’il espère voir s’embraser comme celui de Moïse. Dieu ne lui parle pas car il n’a pas encore appris à l’écouter.


III - The Hanged man
Le Pendu


Le pendu symbolise autant la méditation et le retour sur soi que la soumission (le lien est fort !) dans son aspect positif mais aussi négatif. Une carte qui peut correspond au frère de Rick: Barry (Wes Bentley) ou à son père Joseph (Brian Dennehy). Mais surtout au second frère: Billy, mort certainement en se suicidant.
Cette séquence dénote de l’impact de la “malédiction” familiale sur l’esprit de Rick. Le parallèle avec la métagénéalogie est évident: tous les 4 sont habités par une angoisse métaphysique qui, confrontée à la vacuité de leur réalité, engendre une forte dépression. Cette dépression coûtera la vie de Billy, qui préférera s’en échapper. Mais Rick ne va pas mieux: “Oh Billy, je suis mort d’une autre façon”. Chacun exprime sa tristesse profonde à sa façon. Rick est un tombeur fêtard. Barry est plus agressif, c’est le destructeur. Il l’est pour les autres (comme Rick le lui reproche) mais aussi pour lui-même. Toutefois rien n’est perdu, l’excursion contemplative des deux frères dans la rue au début de la séquence montre qu’ils baignent toujours au soleil et qu’il peuvent encore l’atteindre.
Pour Joseph en revanche, le chemin est plus sombre. Chacune de ses apparitions, même lorsqu’elles sont filmés à l’extérieur, se fait dans une ambiance quasi-claustrophobe, il a perdu le soleil. Celui-ci reste présent au dessus, par les fenêtres, illuminant la pièce. Mais il est lointain, faiblard. On voit Joseph se laver les mains dans le sang, probablement pour essayer de se purifier, tandis qu’en réalité il ne fait que se couvrir de douleur.


IV - The Hermit
L’Hermite


L’hermite représente l’introspection, la crise intérieure qui amorce le changement. Il voit Rick s’éloigner peu à peu de son ancienne vie. L'ascension spirituelle de Rick est dépeinte par l'ascenseur montant à toute vitesse vers la cime d’un édifice au début de la séquence, mais pour combien de temps encore ?
Consécutivement, on aperçoit Rick dans une énième scène de perdition hédoniste. Une situation que Malick associe à un chien poursuivant une balle qui s’enfonce vers le fond de la piscine.
Son “ami” Tonio (Antonio Banderas) l’invite à une fête chez lui. Tonio n’est pas l’hermite, cette fois l’arcane ne symbolise plus que l’état intérieur de Rick, c’est donc lui l’hermite. Une fête démesurée, où l’étrange ne choque plus tant l’extravagance devient le mode de vie de ces gens fortunés désespérés par leur vaine recherche du bonheur. Rick y rencontre Helen (Freida Pinto) et croise Karen (Teresa Palmer), deux âmes avec qui il aura une histoire ultérieurement. Pour le reste il s’amuse ou du moins il essaie, mais progressivement la lassitude et la nostalgie le prennent et il devient contemplatif, cherchant la véritable spiritualité au milieu de cet océan de débauche. Ben Kingsley lui souffle la solution “lève toi et trouve la [la perle]”.
A la fin de la scène, Tonio plonge dans la piscine devant tous ses invités qui le suivent progressivement. Tous sont submergés par les eaux du subconscient, ils n’ont même pas conscience de cette entrave. Rick n’y déroge pas, il marche au fond de la piscine cherchant à s’en sortir.


V - The judgment
Le Jugement


Le jugement symbolise la renaissance (ce qui fait sens juste après l’hermite) particulièrement par le pardon. Ici, Rick va tenter de colmater ses blessures en faisant la paix avec son passé d’homme marié et donc avec son ex-partenaire: Nancy (Cate Blanchett).
Celle-ci fait le récit de la détérioration de l’humeur de son mari et de la perte de son attitude positive vis à vis de la vie: “Tu as changé, le monde t’as absorbé”. C’est lorsqu’il était avec elle qu’il a commencé à se chercher, mais il s’est perdu.
Elle est triste de ne pas avoir eu d’enfant avec lui. Le complexe de la paternité de Rick, déjà présent depuis le début du film, prend alors de l’ampleur dans les problématiques qu’il affronte.. La paternité revêt un rôle hautement spirituel (Lamech) qui pourrait se montrer salvateur pour Rick, ou du moins le décharger de la souffrance de ne pas s’y être essayé.


VI - The Tower
La Tour


La Tour est une lame à l'interprétation ambiguë. Rick se voit offert la possibilité d’obtenir une grosse promotion, un employé compare le moment où il a largué sa femme a une partie de Call of Duty, et l’environnement parsemés de tours métalliques touchant le ciel s’associent instinctivement avec l’interprétation traditionnelle de la Tour: la Tour de Babel connotée à la tendance autodestructrice de l’homme lorsqu’il tente de devenir dieu.
En réalité la Tour signifie l’émancipation, l’effondrement de la frustration, c’est une libération émotionnelle, dans le cas de Rick une prise de conscience qui le poussera à changer.
La séquence commence sur l’arcane 18 - le Soleil, plongé dans l’eau, se tournant lentement vers le haut sans qu’on ne puisse voir l’opération aller jusqu’à son terme. Ceci représente indubitablement l’illumination progressive qu’est en train de subir le protagoniste. Par un retournement de conscience la joie et la paix le pénètrent doucement.
Ce chemin vers la splendeur est aidé par le passage d’Helen (Freida Pinto) dans la vie de Rick, qu’il avait rencontré à la fête de Tonio. Helen est une femme qui a vécu, elle a souffert du monde et des hommes et se méfie des tombeurs comme Rick. Pourtant, ils suivent une route similaire, chacun essayant de s’extraire au monde matériel pour pouvoir s’élever. Helen est zen, elle médite et suit la voie de la grâce. La relation qu’elle va imposer à son nouveau compagnon le transformera à jamais. Elle lui refuse sa couche et instaure un climat de tension sexuelle permanente; elle apprend à Rick à écouter ses sens. Elle remarque son état léthargique: “Les rêves sont sympathiques, mais tu ne peux pas y vivre”.
“Il y a encore un endroit où nous devons nous rendre”. Helen est prête pour l’ascension mais Rick, lui, ne l’est pas encore. Alors il l’a fuit, il part rejoindre son frère tandis qu’elle sort du cadre.
Fort de cette expérience avec Helen, Rick en sort grandit et dialogue avec son dieu intérieur: “Tu touchais tendrement mon visage lorsque tu avais 4 ans”. Dans la philosophie New Age (notamment un roman de Dan Millman “Le chemin du guerrier pacifique”), l’enfant a la conscience de dieu et la perd aux alentours des 4 ans. “Rappelle toi de la perle”.
Rick pense: “Chaque homme, chaque femme, un guide, un dieu”, il se met à reconnaître la nature divine de l’homme et à comprendre les lois ontologiques qui régissent la vie. “Vivant un exil”, car comme lui les hommes ont préféré oublier leur vrai nature. et se perdre dans les méandres de la matérialité.
Il va voir sa mère qui lui confirme sa personnalité, il s’est toujours senti être comme un espion, il passait son temps à fait semblant.
Afin d’achever la destruction de la personnalité factice de Rick, la vie lui envoie un dernier avertissement: il se fait braquer chez lui à son retour. Il se fait ainsi dépouiller de ses possessions. C’est après autant d'événements riches en émotions que Rick comprend: “J’ai passé 30 ans à ne pas vivre”.
La séquence se clôt sur une timelaps le long des rues de L.A consacrant l’avancée de Rick et la passage à d’autres problématiques.


VII - The High Priestress
La Grande Prêtresse


La Grande Prêtresse est la gardienne des eaux, elle incarne le subconscient, à la fois la spontanéité et la recherche ésotérique, le mystère.
Après la destruction de sa personnalité antérieure, Rick est perdu, il cherche la suite de son chemin. C’est ainsi qu’il atterrit dans un club de striptease. Il y fait la rencontre dans une ambiance bleutée de la Grande Prêtresse, une stripteaseuse, Karen (Teresa Palmer) qui tiendra le rôle de la sirène. Elle remarque tout de suite sa tristesse intérieure et se propose de l’aider. Leur relation va revêtir deux facettes:
Dans un premier temps elle lui enseignera sa façon de voir les choses, en lâchant prise et en lui dévoilant la spontanéité. “Réveil toi. La seule façon de sortir [du mental] c’est à l’intérieur, respire”. On peut apercevoir Rick marcher seul sur la plage à la limite entre l’eau et le sable.
Mais dans un deuxième temps elle ne montre aucune mesure et démasque une tendance à l’excès et au caprice. “Tout le monde se fiche de la réalité de nos jours”. “Parfois j’ai l’impression de comprendre tellement plus que les autres, j’ai pris des drogues autrefois et ça a ouvert cette fenêtre que j’appelle la fenêtre de la vérité”. Sa forme de spiritualité ayant été impulsée par une voie corrompue, ses repères ontologiques s’en voient brouillés. La courte illumination de Rick est suivie par une retombée dans le coma de la vie matérielle: “Et je retombai dans le sommeil”.
Le couple part pour Las Vegas, où, pour compléter la signification de Los Angeles, il n’est plus possible d’être qui l’on veut mais d’avoir ce que l’on veut. C’est là que Rick va faire connaissance avec l’autre facette de Karen, la petite fille capricieuse et vaniteuse. Il font la rencontre de l’incarnation d’un l’ange déchu et représentation de L.V sous la forme d’un homme noir avouant son penchant pour les femmes et l’argent. Pour illustrer ses luttes intérieures, deux femmes circulent derrière lui ou à ses côtés, l’une en noir et l’autre en blanc, cette dernière finit par disparaître: il est dans l’erreur. La vie à L.V est ensuite accompagnée du, désormais habituel, thème de Wojciech Kilar avant de voir l’image de Karen s’assombrir pour disparaître.
Rick se retrouve ensuite dans une fête, dont l’extravagance n’est pas sans rappeler celle chez Tonio. Seulement cette fois Rick s'ennuie d’autant plus profondément, la perdition dans laquelle il se trouve lui paraît bien plus claire. Il comprend que ce n’est pas de cette manière qu’il trouvera la perle, il prend la mesure de son fourvoiement. La remise en question de tout son mode de vie est mise en parallèle avec des images de concerts géants, où les humains sont comparables à une horde de zombies. Le message, le secret, la vérité se fait chaque fois plus audible. Il lui faut à présent passer par un véritable changement, lequel en langage symbolique n’a qu’une seule expression; il lui faut mourir.


VIII - Death
La Mort


La Mort caractérise un changement profond, une renaissance intérieure complète, la deuxième naissance, c’est la porte des hommes qu’il faut passer pour poursuivre le chemin. Elizabeth (Natalie Portman) sera la cause principale de la mort de Rick.
Elizabeth est une femme mariée, elle tombe follement amoureuse de Rick et tous deux vont vivre une liaison passionnelle. Cette relation diffère de toutes les précédentes dans son intensité (à part peut-être celle avec Nancy) et dans la volonté bilatérale de construire quelque chose. L’amour qui les unis et fort et vrai. Pour Rick, il n’est plus question de jouer au coureur de jupon et de vagabonder dans les fêtes, il aspire désormais à une relation saine, il pense avoir trouvé la perle. D’ailleurs la relation prend une dimension spirituelle. Ils font la rencontre de Peter, interprété par Peter Matthiessen un moine bouddhiste mort en 2014, dont Rick fera son maître spirituel. “Je n’enseigne que ce moment”.
Ils se rendent également à la plage, Rick saute dans l’eau à plusieurs reprises, c’est le bonheur. Mais bientôt ce bonheur s’effondre.
Il faut préciser que chaque partie du film contient un petit clin d’oeil au complexe de Rick vis à vis de l’inexistence de sa progéniture, il y a toujours une image qui suggère son questionnement et sa douleur.
Elizabeth lui dévoile qu’elle est enceinte, mais elle ne sait si le bébé est le sien ou celui de son mari, qui par la même occasion est revenu. Légalement, il y a présomption de paternité automatique sur le mari lorsqu’un enfant est conçu pendant un mariage. Elle fait donc le choix logique de retourner avec lui. La révélation se fait sur la balcon de leur résidence commune, où on peut admirer la mer submerger les personnages par derrière tandis qu’ils geignent sur leur sort. Pour Rick, c’est un double coup dur émotionnellement: il a perdu sa compagne et son éventuel enfant. Son coeur est brisé. On peut observer un rêve dans lequel il ressasse ses récents échecs. C’est sa descente aux enfers. Mais bientôt il doit ressusciter des morts, on le voit ainsi dans le désert à l’arrêt, méditatif, les muscles du visages contractés. Après un instant de gestations ils finissent par s’adoucir, il relève la tête, il observe l’environnement plus fleuri qui l’entoure et les montagnes desquelles il s’approche inexorablement, il est prêt à repartir. “Tant d’amour silencieux qui ne sort jamais”.
Peu après, sa mère décède. Rick se rapproche alors de la religion, élément qu’il avait exclut toute sa vie: “[Dieu] montre son amour, non pas en t’aidant à éviter la souffrance mais plutôt en t’en envoyant”. “Souffrir te lie à quelque chose de plus grand que toi même” lui enseigne le prêtre incarné par Armin Mueller-Stahl. “Tu ne dois pas te contenter de regarder patiemment les problèmes qu’il t'envoie, tu dois les considérer comme des cadeaux”.
De loin, Rick contemple la plage sur laquelle tant de gens sont encore, il n’y retournera pas. Ceci confirme la renaissance du personnage et le changement profond qui a été opéré.


IX - Liberty
La liberté


Seule partie qui ne soit pas nommée d’après une carte du Tarot, la Liberté incarne la complétion de la première quête de Rick. Première car la quête était double; se réveiller et s’accomplir.
C’est également la partie à laquelle est associée Isabel, interprétée par Isabel Lucas. Isabel est probablement le personnage secondaire le plus important du long métrage. Chaque partie lui accorde quelques instants dans lesquels elle fait un caméo visuel ou vocale pour sublimer l’éternité de sa présence, elle était vouée à rencontrer Rick et ceux depuis le début. Ceci accentue le côté déterministe de l’oeuvre: Rick suivait une voie inexorable vers l’illumination même dans les moments de perdition. D’autre part c’est l’un des seuls personnages qui se voit accorder le privilège de porter son vrai nom, soulignant ainsi sa sincérité et son authenticité.
Dans cette séquence de nouveaux éléments apparaissent: l’air et le feu. L’eau représente la conscience, la terre représentait l’expérience. Ils vont voir un champs d’éoliennes, meilleure manière de représenter l’air, bien qu’il eût été présent dès le début par divers coups de vents à des moments cruciaux, il n’avait jamais été présenté avec une telle intensité. Il incarne la conscience.
Peu après, on les voit tous deux autour d’un feu au milieu de la roche. Trois éléments sont réunis; le feu étant la combustion de l’air. C’est la libido en son sens profond, la volonté, la vie. Désormais Rick se met à écouter les éléments, le monologue de dieu et est attentif aux signes.
Sa vie se règle peu à peu. Son père se fait interner dans une maison de retraite et sort du cadre. Nancy, avec qui il garde une forte connexion, entame elle aussi son voyage initiatique en se rendant à la plage.
Rick s'épanouit avec Isabel, ils ont des enfants, ils sont heureux, et elle le réveille lorsqu’il retombe dans le sommeil. A la manière d’Helen, Isabel célèbre l’eau. Elle le fait à la lumière du soleil, dans une eau apaisée et claire. Ceci symbolise la subconscience dans son aspect positif, libérée de toute négativité. Isabel peut alors s’y mouvoir avec facilité, y entrer et en sortir sans jamais suffoquer.
Rick sort la tête de l’eau salé: il est pleinement éveillé. Il contemple, sous l’oeil bienveillant du soleil (objet de toute sa quête), la montagne qu’il lui faut à présent gravir, son véritable voyage peut alors commencer: une quête de toute une vie.


Parenté avec The Tree of Life


Dans ToL, Mr & Mrs. O’Brien ont trois enfants Jack, Steve et leur aîné décédé. Le film se concentre particulièrement sur Jack, dans son enfance tranquille des années 1960 et dans son présent. Un présent froid fait de tours de métales accompagné d’un profond sentiment de perdition.
Dans KoC, Rick a deux frères: Barry et Billy (qui est, lui aussi, décédé). Il vit approximativement la même époque que Jack avec un environnement, une histoire et un physique similaire.
De plus, les images d’enfance de Rick continuellement accompagnés d’un arbre introduisent sans conteste un élément intertextuel qui permet d’aboutir sur la théorie suivante: KoC s’inscrit comme la “suite spirituelle” de ToL en essayant de raconter l’histoire de la descendance des O’Brien, sans que ce ne soit spécifiquement les O’Brien.


Notes
Dans la langue des oiseaux “Wake up” peut se comprendre “Way Cup”, le chemin de la coupe...

Sbastien-Conrado
10

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes L'année des espions en smoking (Top 2015) et Contenu indispensable du disque dur du cinéphile contemplatif (Top all times)

Créée

le 22 août 2016

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