Antofisherb in Deauville Vol 7 : Malick, heure de cassis

Avec ce Knight of Cups, il semblerait que Terrence Malick suive le même parcours que Paul Thomas Anderson depuis la dernière décennie. En effet, avec leurs respectifs deux ou trois derniers films (Tree of Life, A la merveille et maintenant celui-ci pour l’un, The Master et Inherent Vice pour l’autre), leur cinéma semble se radicaliser, se purifier de tout storytelling hollywoodien. Je n’ai pas encore vu le précédent film de Malick, mais la réception publique paraît le confirmer : grossièrement (et j’insiste sur le mot), les puristes aiment toujours autant voire davantage et les autres sont rebutés. Il y a quelque chose d’exemplaire et de courageux dans cette démarche évolutive et d’émancipation, mais en même temps il est dommage qu’elle laisse autant de monde sur le carreau. Et malheureusement, surtout concernant Malick, cela m’inclut.


Knight of Cups ne raconte pas vraiment d’histoire. Il y a bien des éléments de récit parsemés ici et là, mais le film « raconte » plutôt des sensations, des sentiments. Les acteurs de renoms ne sont pas là pour jouer de vrais rôles (Christian Bale doit prononcer maximum trois phrases face à la caméra dans tout le film), mais pour servir d’icônes. Des icônes célestes, des femmes presque sans personnalité. Des "stars" au sens littéral anglais du terme, d’autant plus que le film prend place à Los Angeles la plupart du temps.


Le film pourrait être considéré comme un long poème filmé, ou plutôt un assemblage de plusieurs poèmes existentiels. La mort, la vie, l’amour, la famille et la célébrité, autant de thèmes qui sont abordés par des images et des phrases dites en voix-off. Le montage est harmonieux, mais délivre souvent une sensation de malaise, de ne pas être à la bonne place. Malick joue sur nos propres réflexions existentielles, veut nous faire réfléchir par le montage.


Le problème, c’est que vidées de tout contexte ou propos concret, ces phrases ne veulent rien dire. Elles résonnent à nos oreilles comme du charabia poétique, car les personnages n’existent pas : ils sont effacés derrière le montage, derrière la voix-caméra qui est doublement celle du réalisateur. Christian Bale est Terrence Malick. Dès lors, l’identification opérée habituellement entre le spectateur et le personnage est bousculée, entravée. Exercice intéressant, mais sans doute trop périlleux.


L’autre problème, c’est la présence d’un certain recyclage d’images déjà vues, d’allégories déjà assimilées : celles de paysages naturels, celles de mysticisme religieux cosmique, ou encore une représentation du trio familial père-frère-frère rappelant quasiment à l’image près celle de Tree of Life. Certains y voient peut-être une cohérence d’ensemble, voire une obsession passionnante, de mon côté je ne peux m’empêcher d’y voir une absence de discours sur la longueur. A force de vouloir tout dire de manière généralisée et abstraite, Malick finit par ne plus rien dire.


Knight of Cups est pourtant doté d’une beauté esthétique, c’est certain. Une beauté flottante, mystique, évasive. Elle créée même un décalage étonnant lors d’une scène de fête un peu dépravée avec le gratin d’Hollywood, seul moment où la mise en scène fait vraiment sens selon moi. Mais le film n’a un peu que ça pour lui, au final. Ca en devient même énervant car j’ai du mal à vraiment voir le travail de réflexion derrière, s’il y a un sens à réemployer encore et toujours les mêmes images avec un montage s’éloignant de plus en plus de toute forme de récit. Mais sans doute que le film parlera énormément à d’autres.

Antofisherb
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le 11 sept. 2015

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