Malick au début, et pendant longtemps, t’aimais bien, t’étais fervent, t’étais tout chose. D’abord deux films qui magnifiaient cette Amérique rurale d’avant (La balade sauvage et Les moissons du ciel), puis ensuite deux films sur son Histoire, la bataille de Guadalcanal et la légende de Pocahontas (La ligne rouge et Le nouveau monde), puis enfin trois films en mode télévangéliste fou. C’est d’ailleurs à partir de ces trois-là, de The tree of life précisément, que t’as senti qu’il y avait un problème. D’ailleurs, t’as même pas eu le courage de te taper À la merveille, trop échaudé par les (très) mauvaises critiques et l’idée de voir Ben Affleck pendant deux heures caresser du blé et jouer les touristes au Mont-Saint-Michel.


C’est intrigant et c’est beau, Knight of cups, et puis au bout de trente minutes, tu commences à en avoir marre de ces villas de luxe, ces appartements design pour Qataris flambeurs ou évadés fiscaux, ces bords de mer amers, ces écumes, ces ressacs, et ces voix off sentencieuses qui font rire, à force (petit florilège à lire avec une voix grave et profonde, habitée si possible : "Nous ne vivons pas les vies qui nous étaient destinées", ou bien "Je n’arrive pas à me souvenir de l’homme que je voulais être", ou encore "Il n’y a pas de principe, que des circonstances"). Au bout d’une heure, tu te dis que tu aurais pu faire la même chose quand, il y a quelques années déjà, t’étais parti à L.A., Las Vegas et la Vallée de la mort, mais que t’avais pas de GoPro ni de perche à selfies avec toi.


En même temps, Malick fait bien ce qu’il veut, on peut lui reconnaître ça, de faire ce qu’il veut. Il semble désormais faire ses films pour lui et pour quiconque, sans se soucier de rien. Il s’en fout des critiques, du box-office et de ce qu’on peut lui reprocher. Il emmerde les promos, boude les tapis rouges, ne doit d’explications à personne. Malick avance seul. Il créé. Poème. Méditation. Expérience. Pas vraiment de scénario, pas besoin d’intrigue, mais des éclats qui s’entrechoquent et se répondent pour former un canevas impalpable, secret, obéissant seulement à nous, à nos interprétations, nos histoires, nos ressentis.


Le montage suit sa propre logique, empile les allusions mystiques et religieuses en les confrontant au monde d’aujourd’hui et aux questionnements incessants de son héros. Knight of cups, ça parle de l’Amour, du Destin, de l’Homme et de la Femme, de la Beauté du Monde et sa Profonde Disgrâce (oui, tout ça en majuscules parce que Malick tutoie les anges tu vois, il lévite, Malick, il cosmogonise). Les acteurs, hagards, disent à peine quelques mots, murmurent ou ânonnent. Ils sont là, simplement ; ce sont des symboles avant tout, des icônes hollywoodiennes (Bale, Blanchet, Portman, Pinto…) qui déambulent comme on déambule dans une pub pour du prêt-à-porter ou un après-shampooing.


Bale, chevalier moderne et las en quête de rédemption, collectionne les trophées féminins aux allures de mannequin, filiformes et interchangeables, et geint sur ces enfants qu’il n’aura jamais, la superficialité de son existence et le vide autour, sans grâce. Malick enrobe le tout d’une spiritualité nébuleuse, de radicalité narrative, d’architectures saillantes et de références artistiques (Willy Ronis, Magritte…) pour montrer qu’il s’y connaît en histoire de l’art. C’est quasi du cinéma binaire, c’est du cinéma qui ne (se) laisse aucune chance. T’aimes ou t’aimes pas. Si t’aimes, c’est que t’es l’Élu. Si t’aimes pas, c’est que t’as vraiment rien compris. Et t’es qu’une burne.


Article sur SEUIL CRITIQUE(S)

mymp
3
Écrit par

Créée

le 20 avr. 2016

Critique lue 378 fois

9 j'aime

4 commentaires

mymp

Écrit par

Critique lue 378 fois

9
4

D'autres avis sur Knight of Cups

Knight of Cups
Velvetman
9

American Psycho

Knight of Cups raconte l’histoire d’un prince qui part à la recherche d’une perle. Malheureusement, sa jeune couronne vacille, son esprit se fissure et son identité disparait. C’est la dépression...

le 26 nov. 2015

111 j'aime

15

Knight of Cups
Sergent_Pepper
5

L’omnipotence d’être distant.

Il y a quelque chose d’étrangement paradoxal dans la posture de Malick : c’est un cinéaste qui se fait désormais omniprésent, et qui ne cesse pourtant de nous affirmer qu’il nous quitte. Qu’il...

le 29 mars 2016

76 j'aime

17

Knight of Cups
Antofisherb
4

Antofisherb in Deauville Vol 7 : Malick, heure de cassis

Avec ce Knight of Cups, il semblerait que Terrence Malick suive le même parcours que Paul Thomas Anderson depuis la dernière décennie. En effet, avec leurs respectifs deux ou trois derniers films...

le 11 sept. 2015

50 j'aime

13

Du même critique

Moonlight
mymp
8

Va, vis et deviens

Au clair de lune, les garçons noirs paraissent bleu, et dans les nuits orange aussi, quand ils marchent ou quand ils s’embrassent. C’est de là que vient, de là que bat le cœur de Moonlight, dans le...

Par

le 18 janv. 2017

179 j'aime

3

Seul sur Mars
mymp
5

Mars arnacks!

En fait, tu croyais Matt Damon perdu sur une planète inconnue au milieu d’un trou noir (Interstellar) avec Sandra Bullock qui hyperventile et lui chante des berceuses, la conne. Mais non, t’as tout...

Par

le 11 oct. 2015

161 j'aime

25

Killers of the Flower Moon
mymp
4

Osage, ô désespoir

Un livre d’abord. Un best-seller même. Celui de David Grann (La note américaine) qui, au fil de plus de 400 pages, revient sur les assassinats de masse perpétrés contre les Indiens Osages au début...

Par

le 23 oct. 2023

156 j'aime

13