« Je ne suis pas concerné du tout parce qu'on appelle « sexe ». Une plus grande entreprise est ce qui me mobilise : fixer une fois pour toutes la magie périlleuse des nymphettes. »


Vladimir Nabokov, Lolita


Un soir d'orage, deux nymphettes frappent à la porte d'Evan Webber (Keanu Reeves), père de famille émasculé par sa femme et abandonné par sa famille le week-end de la Fête des pères. Prédatrices sorties de la nuit – une nuit aussi irréelle que l'orage : un pur décor de thriller – les deux nymphettes veulent savoir ce qu'il reste de la virilité d'Evan. Elles se déshabillent, dansent, se frottent à lui. L'une est blonde : faussement ingénue, elle joue le rôle de la ravissante idiote. L'autre est brune, elle va se muer en gothique perverse dès qu'Evan aura cédé à la tentation. Le piège fonctionnant assez vite, le film déroule ensuite une mécanique plus convenue, déjà rodée par Eli Roth dans Hostel, où le plaisir sexuel portait déjà en lui la promesse du châtiment.


Knock knock emprunte à Hostel sa structure en deux parties : il commence comme une parodie de thriller avant de reproduire, sous une forme ludique, les mécanismes de soumission et d'humiliation propres au torture porn. Le film peut paraître superficiel à force de jouer (avec des codes, des situations, des références) : ainsi, lorsqu'Evan, attaché au lit, doit jouer le rôle du père libidineux – une des nymphettes a mis les vêtements de sa fille – la scène, volontairement grotesque, semble parodier les cauchemars de Laura Palmer dans Twin Peaks. Comme si l'horreur n'était plus qu'une mauvaise plaisanterie, comme si elle ne pouvait plus que s'autoparodier pour finir dans le caniveau des réseaux sociaux, là où les deux nymphettes épinglent le désir, forcément coupable, d'Evan.


C'est peut-être par cette lucidité sur le genre que Knock Knock se révèle le plus convaincant. Contrairement au cinéma d'horreur récent, le film d'Eli Roth ne rétablit pas pour finir l'ordre familial (comme dans Babadook ou dans les deux derniers James Wan), pas plus qu'il ne punit une jeunesse irresponsable (voir Unfriended). Il se demande plutôt comment il peut refaçonner les lolitas, ce qu'il reste de leur charme. Ses deux nymphettes n'ont ni l'ingénuité de Sue Lyon dans le film de Kubrick (Lolita, 1962), ni la nostalgie de la pureté qui faisait de Laura Palmer une héroïne bouleversante (Twin Peaks, Fire walk with me, 1992) : elles sont effrayantes parce qu'elles ne sont là que pour jouer.


En confiant à Keanu Reeves un rôle qui rappelle, sous une forme encore parodique, celui de Jonathan Harker dans le Dracula de Coppola, Eli Roth exprime peut-être sa nostalgie du puritanisme : « J'ai quarante-trois ans et je sais qu'aujourd'hui les filles de dix-huit ou vingt-et-un ans sont très différentes sur le plan sexuel. Elles ont grandi avec la pornographie sur internet et s'exhibent en petite tenue sur les réseaux sociaux. Beaucoup de types de mon âge se demandent ce que ça fait de sortir avec ces filles, par rapport à celles qu'ils ont connues quand ils étaient jeunes (1) ».


Knock Knock se demande avec inquiétude « ce que ça fait de sortir avec ces filles ». Et il répond à cette question par l'ironie (donc il n'y répond pas). Le film s'achève symboliquement sur le constat d'une destruction (on entend Where is my mind des Pixies comme à la fin de Fight Club) où personne n'a trouvé la jouissance : ni celle du sexe, ni celle du sang. Evan n'est pas mort, il est enterré jusqu'au cou dans son jardin et son lynchage vient de commencer sur les réseaux sociaux. Loin d'être un film sage, où Eli Roth essaierait de montrer patte blanche avant de se lancer dans des projets plus mainstream, Knock Knock est un film d'horreur impossible, dont le rire noir essaie de fixer, tant bien que mal, ce qu'il reste de la magie périlleuse des lolitas. Voir mon blog

chester_d
6
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le 30 sept. 2015

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chester_d

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