Ce film est le premier volet d'une trilogie s'inspirant de prophéties des Indiens Hopis, notant les signes annonciateurs de la fin du monde. Les cultures traditionnelles utilisent des drogues pour plonger leurs fidèles dans des états de conscience particuliers (transe, voyance). Le réalisateur Godfrey Reggio, à défaut de mescal, embarque le spectateur dans un flot d'images baignées de musique lancinante. Effets hypnotiques garantis.
Un déluge de prises de vues aériennes exalte la beauté des paysages naturels. Pas de voix off, ni de commentaires. Seulement la capture électronique des paysages de l'ouest des États-Unis. Comme le vent fait frémir la flore et l'eau, la musique lancinante de Philip Glass accompagne la caméra de Ron Fricke dans son périple haletant. Un chant primitif jaillit de la terre, avec ce mot de KOYAANISQATSI, repris à l'infini en mantra prophétique. En langue hopie, il signifie vie déséquilibrée, vie folle et tourmentée, qui mène à la catastrophe, au début d'un nouveau cycle.
Peu à peu, le spectateur comprend qu'il assiste à une version audiovisuelle des prophéties hopies de la fin du monde. L'homme dégrade son environnement à grande vitesse. Notre monde risque de disparaître à court terme. Godfrey Reggio utilise une technique équivalente à celle du "courant de conscience", popularisée par James Joyce dans Ulysse. Le spectateur est pris dans un flux d'images, immergé dans un poème visuel et sonore, pour une expérience sensorielle directe.
En somme, abandonnez votre raison, vos raisonnements logiques habituels. Laissez-vous aller à une orgie visuelle et sonore sur la beauté de la nature et l'impact destructeur de l'homme sur l'environnement. Le but est une prise de conscience par un choc émotionnel : toucher la sensibilité plus que la raison. Une vive inquiétude plane, tel un vautour survolant les hauts plateaux d'Arizona : sommes-nous assez sages pour ne pas détruire totalement la planète ? La caméra explore les villes aux gratte-ciel arrogants, plonge au cœur des foules, montre les usines crachant leurs fumées pestilentielles... Les décideurs dynamitent des immeubles en séries comme des gamins capricieux balayent leurs constructions de Lego...
Le propos des auteurs en ces années 1980 correspond à une prise de conscience de la démesure suicidaire du système capitaliste. "Science sans conscience n'est que ruine de l'âme" (Rabelais) Mais est-il pertinent d'avoir recours à la sagesse ancestrale des Hopis dans ce qu'elle a de moins universel (prophéties de la destruction du monde) ? Comme les Mayas, les Hopis annonçaient la fin du monde pour 2012... Voir des passants marcher dans les rues n'apporte pas grand chose... même au ralenti...
L'intérêt du spectateur doit être maintenu éveillé par des idées renouvelées, sinon l'assoupissement menace. Autre danger : le "poème" risque de virer au film promotionnel sponsorisé par un office quelconque. Mon attention se relâche, quand la beauté des dernières minutes m'enthousiasme. Au cours du générique final, je songe : pourquoi le film n'a-t-il maintenu du début à la fin cette magnifique densité d'apocalypse ?